Paru une première fois aux éditions Mnémos en 2005, réédité par le Livre de Poche en 2007, Le goût de l’immortalité, roman de science-fiction dystopique de Catherine Dufour, a amassé dans son parcours une ribambelle de distinctions – le Prix Bob-Morane 2006, le Prix Rosny aîné 2006, le Prix du Lundi 2006 et le Grand Prix de l’Imaginaire 2007 – absolument méritées.
De l’horreur poétique
Ce qui frappe d’abord, c’est le style tout personnel de Catherine Dufour. Elle sait mettre des accents poétiques aux pires vulgarités et faire des pires horreurs la banalité de tous les jours sans pour autant entacher la crédibilité de son histoire. Un pur délice.
Particularité stylistique de ce roman : les prénoms et les villes perdent leurs majuscules aux profits de la faune et la flore. Ça surprend sur le coup, puis la surprise passée, on trouve que ça fait totalement sens dans le contexte du roman. Catherine Dufour explique sur son site le pourquoi : en gros, c’est pour montrer toute l’importance qu’ont les animaux et les plantes dans un futur où la Terre se meurt[1].
Des personnages avec leur part d’ombre
Le tout est raconté par l’intermédiaire d’une lettre de la narratrice à un homme dont on ne saura pas grand-chose. La conteuse, immortelle, raconte son histoire, celles de Cmatic, de Shi, ainsi que celles de Cheng et de Nakamura[2], qui ont vécus des centaines d’années plus tôt. Tous les personnages ont leur part d’obscurité (une très large part, à vrai dire) et se distinguent les uns des autres. Cela dit, ce n’est pas un « roman à personnages », dans le sens où ce ne sont pas des héros « sympathiques ». Par ailleurs, je ne pense pas que l’intérêt premier du roman repose sur ses personnages, mais plutôt sur son univers.
Un univers incroyablement sombre
Quand j’ai entamé Le goût de l’immortalité, j’avais en tête les critiques que j’en avais lues qui disaient que l’univers de Dufour n’avait rien de gentillet, qu’il était incroyablement sombre. J’ai été déroutée au départ. Je lisais, je ne trouvais certes pas le roman gentillet – il y avait des enfants morts, de la haine, de la désillusion, de la pauvreté, de la prostitution, des complots, des amitiés perdus – mais je ne voyais pas ce qu’il y avait d’« incroyablement sombre ».
Puis on plonge sans avertissement dans le monde la suburb, de ceux qui vivent en‑dessous, et dans la vie de Cheng et Nakamura. Là, je ne me suis plus posée la question; c’était crasseux, terrible, incroyablement somble. On délaisse les cadavres qui marchent et les simples meurtres pour les génocides, la dictature, les viols, les bébés qu’on tue de sang-froid, les épidémies, la misère, le désespoir, l’horreur de la vérité, l’impuissance, la soumission, l’esclavage et j’en oublie sûrement. Je ne rentrerai pas dans les détails, car ça gâcherait le plaisir[3] de lecture, mais sachez que c’est malsain à souhait. À ce titre, certains lecteurs plus sensibles devraient peut-être s’abstenir.
Le petit bémol
Je dirais que la fin est un peu inférieure au reste du roman, mais il faut bien avouer qu’il était bien difficile de faire mieux que la partie se déroulant dans la suburb, qui est tellement puissante émotionnellement.
Science-fiction et lyrisme
En dépit de cet avertissement, vous aurez compris que j’ai adoré ce roman. Il figure parmi mes livres favoris de science-fiction ainsi que parmi mes livres favoris tout court. Qui plus est, ce roman est spécial pour moi, puisque c’est grâce à lui que je suis tombé en amour avec la science-fiction. J’avais toujours associé ce genre avec une écriture plus froide, plus technique, que celle, par exemple, de la fantasy, qui me paraissait plus lyrique. J’ai compris en lisant Le goût de l’immortalité que ça n’avait pas à être le cas.
Se procurer Le goût de l’immortalité

[1] Pour en savoir plus à ce sujet, vous pouvez lire mon article intitulé « Qu’est-ce que la littérature? : Peut‑on distinguer la littérature de la paralittérature? », qui mentionne, entre autres, la manière dont le procédé défamiliarise le lecteur.
[2] Pour faciliter la lecture de cette critique, vous noterez que j’applique les majuscules aux prénoms – de la même manière que l’éditeur le fait pour la quatrième de couverture – bien qu’elles soient volontairement et systématiquement omises dans le roman lui-même.
[3] Ça me fait étrange de parler de « plaisir » après avoir fait la liste de toutes les horreurs que dépeint ce roman, mais bon, ça n’en est pas moins une lecture poignante.