JAWORSKI, Jean-Philippe, Janua Vera [édition souple], Bordeaux, Les Moutons électriques, 2017 [2007].

Avis lecture : Janua Vera (Récits du Vieux Royaume, 1), Jean-Philippe Jaworski

Janua Vera est un recueil de nouvelles de fantasy de Jean-Philippe Jaworski. Il s’agit de la première œuvre de l’auteur français et du premier livre dans l’univers du Vieux Royaume. D’abord paru chez Les moutons électriques en 2007, puis réédité par Folio SF en version poche en 2009, le recueil a remporté le prix du Cafard Cosmique 2008.

Janua Vera

JAWORSKI, Jean-Philippe, Janua Vera [édition souple], Bordeaux, Les Moutons électriques, 2017 [2007].
JAWORSKI, Jean-Philippe, Janua Vera [édition souple], Bordeaux, Les Moutons électriques, 2017 [2007].

Un homme-dieu est rattrapé par son humanité.

Une entrée en matière plutôt sobre qui nous révèle un style d’écriture raffiné. Le thème abordé est assez commun et aurait gagné à être traité plus en profondeur. En effet, j’aurais aimé un plus grand développement autour de la « folie » du Roi-Dieu, contempler de plus près les conséquences de la foi ébranlée de ses sujets.

Une fin extrêmement prévisible desservira également la cause de cette nouvelle qui souffre d’être trop courte. Un récit banal, écrit dans une belle langue, qui sera vite oublié.

Mauvaise donne

Une guilde d’assassins, des complots politiques, la guerre aux voisins d’outremer, le tout se déroulant dans une ville maritime…

Ici, l’écriture riche et soigné de l’auteur vient appuyer merveilleusement le cadre de son récit. Ciudalia prend vie par ses mots, si bien qu’on peut presque sentir l’odeur de la mer, la chaleur de la canicule, la mort des abattoirs. Une ambiance s’installe, imprégnant le texte et le lecteur, servie par des personnages bien campés et des manigances bien menées.

Une intrigue classique où le souci du détail et le rendu pointilleux du décor viennent rehausser magnifiquement le tout pour une histoire fort réussite.

Le service des dames

L’histoire classique d’un preux chevalier se mettant au service de la demoiselle en détresse? Certes pas. Ce texte n’a rien à voir avec un conte de fée.

La demoiselle en détresse est une dame au verni de courtoisie bien appris, toute en sourires et en coups bas, fine manipulatrice et stratège. Une personnalité forte, un esprit froid, le tout décrit avec subtilité. Un personnage féminin fascinant.

Quant au preux chevalier, il aura beau arborer toutes les valeurs du monde, il n’en est pas moins l’instrument de basses œuvres. Sa voie est obscurcie par ses propres règles. Néanmoins, son caractère est dépeint avec sensibilité, si bien qu’il est animé d’une belle complexité.

Des protagonistes forts qui ouvrent la porte à de nombreux dialogues finement ciselés que l’auteur aura pris soin de formuler en langage d’époque, sans toutefois trop en faire.

Une offrande très précieuse

JAWORSKI, Jean-Philippe, Janua Vera, Bordeaux, Les Moutons électriques, 2007.
JAWORSKI, Jean-Philippe, Janua Vera [première édition], Bordeaux, Les Moutons électriques, 2007.

Un guerrier hanté par son passé doit survivre en territoire ennemi.

Une histoire assez banale, très convenue, qui passe trop de temps à décrire les combats et les paysages plutôt qu’à explorer l’esprit du héros. Et pourtant, je suis certaine que la visite de la psyché de ce protagoniste aurait été intéressante, si seulement l’auteur avait poussé plus loin son analyse.

Au final, on ne découvre vraiment le passé du personnage qu’à la toute fin, et de manière trop concise pour excuser la longue attente du lecteur. Une nouvelle correcte, mais sans plus.

Le conte de Suzelle

Où les contes de fée ont la vie dure.

Un récit tout à fait pertinent, débutant sur le ton ironique, un peu naïf, des contes de fée. Ensuite, l’auteur vient y ajouter une touche de mystère avec le personnage d’Annoeth qui soulèvera des questions auxquelles on ne trouvera pas de réponse, sans que cela soit gênant. Et enfin, la dure réalité vient rattraper l’héroïne.

Un mélange hétéroclite, qui aurait pu être catastrophique, mais mené d’une main de maître. La transition entre les différents tons se fait naturellement, rendant cette histoire cruellement « vraie ».

Amertume, voilà ce que l’on retient de ce conte à l’atmosphère terriblement puissante. Le meilleur texte de ce recueil en ce qui me concerne.

Jour de guigne

Un homme est frappé du Syndrome de Palimpseste, une maladie de malchance.

Un récit à l’absurdité subtile, écrit dans une langue qui permet d’éviter la vulgarité. Ici, on découvre une nouvelle facette du Vieux Royaume, une facette qui nous apparaît beaucoup moins crasse. Mais l’est-telle vraiment moins?

Cette histoire est beaucoup plus portée sur la fantasy telle qu’on l’a connaît par de petits détails tels que l’apparition concrète d’une magie aux répercussions rigolotes, d’un gnome politicien et d’un changeur de forme.

J’ai apprécié ce texte à la fois léger et intelligent. Cependant, je garde une infime réserve, car cette nouvelle ne me semble pas à sa place dans ce recueil. On change complètement de ton, si bien qu’on a l’impression de découvrir un tout nouvel univers qui ne serait en aucun cas relié à celui qui nous est présenté jusqu’alors.

Un amour dévorant

JAWORSKI, Jean-Philippe, Janua Vera, Paris, Gallimard, Folio SF, 2015 [2009].
JAWORSKI, Jean-Philippe, Janua Vera, Paris, Gallimard, Folio SF, 2015 [2009].

Dans le bois qui borde Noant-le-Vieux, les appeleurs hèlent le nom d’Éthaine, mais il semblerait qu’il n’y ait que les habitants de la place qui puissent entendre leurs cris.

L’ambiance est bien installée, même si elles manquent toutefois d’intensité. Selon moi, cela est dû au fait que l’histoire est racontée d’un point de vue extérieur, imposant une barrière aux émotions, si bien que les personnages hantant la forêt ne paraissent pas si effrayants, même si on sait qu’ils le sont.

Quant à la fin, elle est à la fois surprenante et décevante, car si on ne s’attend pas à un tel dénouement, on ne répond pas non plus à toutes les interrogations qui nous traversent l’esprit.

Un bon récit auquel il ne manquait qu’un petit quelque chose pour être excellent.

Le confident

Un prête du Culte du Désséché fait vœu d’Obscurité.

Ironiquement, le récit a beau être court, il est un peu lent à décoller. Toutefois, une fois l’introduction écoulée, on est rapidement happé par l’intimité de cette confession dans les ténèbres, de cet homme qui nous livre sa vie, avant et après l’Obscurité.

Le tout jusqu’à la révélation habilement amenée, de manière très naturelle, de l’identité des visiteurs qui viennent se confier au prête.

À noter que les passages approfondissant notre connaissance du Culte du Désséché sont très intéressants, assouvissant la curiosité éveillée dans la nouvelle précédente avec le gyrovague Phasma.

Un recueil de nouvelles de grande qualité

Une écriture riche, des atmosphères subtiles, plusieurs personnages fascinants, voilà ce que l’on retiendra de ce recueil de nouvelles, certes non parfait, mais assurément de grande qualité.

Se procurer Janua Vera

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