Si quelques-uns d’entre vous ont suivi ma série d’articles sur ce que j’appelle l’édition 2.0, vous savez qu’une table ronde sur le sujet « Innovation en édition : quel sera le livre de demain? » ne pouvait que piquer mon intérêt. Il s’agit de la seconde activité à laquelle j’ai participé à l’occasion de ma visite au Salon du livre de Montréal 2018. Présentée par la Chaire en littératie médiatique multimodale et animée par Prune Lieutier, la discussion était menée par Christine Joly, directrice commerciale chez Scenarex ; Yuri Kruk, fondateur de Miniminus ; Tom Lebrun, juriste en droit du numérique ; et Jenny Thibault, directrice générale de Xn Québec, l’Association des producteurs d’expériences numériques.
En raison de la nature plutôt décousue de la discussion, je n’ai pas opté pour une retranscription linéaire de celle-ci. J’ai plutôt tenté d’organiser le tout de manière cohérente afin de rendre le fil de la conversation plus facile à suivre.
L’innovation en édition doit se faire autour du livre
Jenny Thibault admet que le livre papier est encore un incontournable. Typiquement, les livres numériques ne représentent que 2 à 4% des ventes totales des maisons d’édition. Sinon, d’autres formes de livres que l’on voit apparaître à l’ère numérique : les livres interactifs, où le lecteur est invité à interagir avec le livre ; les livres intelligents, où les lecteurs peuvent, dans une expérience collaborative, écrire des notes, apporter des corrections, ajouter du contenu ; les livres augmentés, où la version numérique et/ou en ligne contient du contenu additionnel, etc. Toutes ses formes ont une chose en commun : il s’agit de bonifier l’objet de départ.
Elle précise dans sa deuxième intervention qu’il est important de choisir le bon livre. Il faut en effet s’attacher à une œuvre forte pour pouvoir ensuite la décliner sous d’autres formes : exposition, BD interactive, campagne marketing originale, etc. Par exemple, on peut lire de nombreux récits épisodiques publiés sur les médias sociaux : c’est exactement le genre d’usages des réseaux sociaux qu’il faut considérer.

Dans un futur plus ou moins lointain, elle croit que les livres hologrammes seront une réalité.
Miniminus : un éditeur numérique expérimental
Au fondement de l’industrie du livre, il y a deux acteurs : l’auteur et le lecteur. Le but de Yuri Kruk était de créer une plateforme afin de relier les deux. Minimimus est un éditeur jeunesse au modèle économique inédit. Plutôt que d’acheter un produit, les lecteurs peuvent s’abonner pour 3$ par mois et ainsi avoir accès à du contenu original et 100% numérique (pour un coût de distribution réduit) à chaque mois. Vingt-cinq nouvelles histoires, traduites en six différentes langues, sont publiées par an. 50% des bénéfices sont partagés entre les différents auteurs de Miniminus.
La plateforme de lecture de Miniminus est un outil fait sur mesure pour l’éditeur. Ainsi, leurs textes sont quelque part entre le livre PDF/epub conventionnel et le livre augmenté. Il y a quelques animations, par exemple des fondus enchaînés, et il y a quelques possibilités d’interaction avec le lecteur, mais pas assez pour parler de livres interactifs.
Scenarex et sa Bookchain : des contrats intelligents pour les auteurs auto-édités et les petits éditeurs
Le but de Scenarex est d’aider les auteurs auto-édités et les petits éditeurs à distribuer leurs livres selon leurs propres termes. Avec Bookchain, les auteurs et/ou éditeurs peuvent revendre de façon sécuritaire. Ils ont également la possibilité d’établir un contrat intelligent où ils peuvent eux-mêmes déterminer, par exemple, quel pourcentage du profit revient à l’auteur, à l’illustrateur, etc. La distribution des royautés est, de plus, directe.
Compte tenu de la nature de leur produit, Scenarex n’est pas autorisé à faire de la publicité sur les réseaux sociaux. Pour se faire connaître, l’entreprise s’implique dans la communauté littéraire pour éduquer les gens sur le principe de la Bookchain.
Les bénéfices de l’intelligence artificielle dans l’industrie du livre
La première chose que remarque Tom Lebrun en tant que juriste du droit numérique, c’est que l’intelligence artificielle, à termes, mènera à un meilleur référencement. En ce moment, toutes les données existent, mais elles sont mal organisées, si bien que de nombreux livres tombent dans l’oubli faute de pouvoir être retrouvés par les moteurs de recherche traditionnels. Grâce à un apprentissage statistique autonome, l’IA pourra elle-même créer des métadonnées afin de concevoir un système de classement plus efficace. Par exemple, il pourra être possible de retrouver un livre dont on se souvient uniquement des thèmes généraux et de la couleur de la couverture. À l’heure actuelle, on sait que la couleur de la couverture du livre X est rouge, mais cette donnée n’est pas traduite en métadonnée et donc n’est pas prise en compte dans les moteurs de recherche.
Ultimement, l’IA pourrait même produire du contenu et servir à des fins de marketing. Elle serait capable d’identifier les caractéristiques garantissant le succès d’un type de livre donné. Il faut toutefois être prudent à ce sujet, car la littérature est trop subjective pour être décortiquée mathématiquement. Il n’y a pas de recette miracle qui puisse garantir le best-seller.
À propos du référencement, Jenny Thibault ajoute que la technologie aide effectivement à la curation des contenus. Les communautés de lecteurs en ligne et les algorithmes permettent notamment de générer des recommandations de lecture aux utilisateurs.
Christine Joly précise que l’IA pourrait permettre à la plateforme Bookchain de donner de meilleurs conseils à ses utilisateurs, par exemple en indiquant quel est le meilleur moment de revente pour eux.
Tom Lebrun ajoute dans une intervention ultérieure que, avec l’intelligence artificielle, les outils de traduction sont de plus en plus efficaces. On peut penser que bientôt, il existera des programmes qui permettront aux auteurs, notamment ceux qui s’auto-éditent, de traduire par eux-mêmes leur texte. Dans le même ordre d’idées, les éditeurs de texte comme Microsoft Word s’améliorere de jour en jour. Les outils de lecture, eux aussi, évoluent : les voix artificielles sonnent de moins en moins robotiques. Sans doute, il deviendra commun dans le futur pour une IA de « copier » la voix d’un acteur.
À ce sujet, Yuri Kruk mentionne que le progrès de ces outils technologiques permettra aux éditeurs comme Miniminus de produire plus de contenu en moins de temps.
Le financement public n’est pas adapté au numérique
Jenny Thibault précise qu’il est difficile de faire reconnaître les œuvres hybrides ; elles ne sont presque jamais éligibles. La seule subvention pour laquelle Xn Québec est éligible est le Fonds des médias du Canada.
Miniminus ne bénéficie pour l’instant d’aucun financement externe. Leur financement provient des abonnements des lecteurs, sinon Yuri Kruk est celui qui a fourni l’investissement de départ.
Le manque de formation des acteurs du livre
Christine Joly admet que le secteur du livre est une industrie traditionnaliste. Cela vient du fait que les éditeurs, surtout les éditeurs indépendants, ne sont pas des gens d’affaires. De plus, ceux qui ont investi dans le numérique ne constatent pas toujours de retour sur leur investissement.
À l’heure actuelle, dit Tom Lebrun, les innovations numériques sont souvent des épiphénomènes. La figure de l’auteur est encore importante dans le milieu du livre. On a ainsi peur du numérique, qui nécessite l’intervention d’acteurs externes, par exemple les programmeurs capables de créer de nouvelles interfaces de lecture. Il faut d’abord réapprendre à lire autrement, s’ouvrir à d’autres modes de lecture.
Le Québec et le numérique
Si on voit de plus en plus de créations numériques, Jenny Thibault avance que la barrière de la langue fait en sorte que le Québec n’est pas bien positionné en ce qui concerne le livre numérique.
Yuri Kruk, avec Miniminus, cherche à inverser cette tendance. Quoique leurs histoires soient traduites, à la base il s’agit de textes numériques québécois.
Un public cible mal défini
Une discussion intéressante, mais dont le public cible est difficile à identifier. La description de l’événement précise que « Innovation en édition : quel sera le livre de demain? » s’adresse aux professionnels, mais je ne crois pas que les intervenants Christine Joly, Yuri Kruk, Tom Lebrun et Jenny Thibault soient allés suffisamment en profondeur pour capter l’attention des experts. D’autre part, quelqu’un qui n’a aucune connaissance de base sur le sujet aura probablement eu du mal à suivre. Au final, je pense que cette table ronde aurait bénéficié d’une ligne directrice plus claire.