L’auteur québécois Yves Meynard étant parfaitement bilingue, Chrysanthe est d’abord paru en anglais chez Tor Books en un seul gros roman. Il maintenant publié en français (la traduction a été faite par l’auteur lui-même) sous forme de trilogie chez Alire. La Princesse perdue est le premier tome de cette série de fantasy.
Un premier chapitre solide
Le livre commence fort avec un chapitre au ton enfantin parfaitement rendu. L’auteur trouve le bon équilibre dans le ton et l’écriture de sorte que le lecteur peut bien dire qu’il lit le point de vue d’un enfant sans que l’on tombe dans le babillage illisible. Oui, la pensée d’un enfant est sans doute moins cohérente que cela, mais l’auteur demeure conscient de son public et choisit de conserver une grammaire conventionnelle. Cela évite par ailleurs au premier chapitre de détonner avec le reste du roman, qui est raconté du point de vue d’une jeune femme.
Un roman adulte qui n’évite pas les sujets difficiles
Le lecteur peut rapidement constater que le roman est bel et bien un récit pour adultes. Il ne s’agit définitivement pas d’un livre Young Adult essayant de se faire passer pour un roman adulte. Yves Meynard aborde de front la question des séquelles au viol (ce n’est pas un spoiler puisque cela est dit sur la quatrième de couverture) et le traumatisme n’est pas miraculeusement oublié une fois lorsque l’héroïne apprend la vérité. Son expérience fait partie d’elle et Christine doit apprendre à vivre avec.
Une victime qui se relève après sa chute
On pourrait croire que la protagoniste n’est qu’une « princesse en détresse » (et je comprends pourquoi on pourrait l’assumer de prime abord), mais ses moments de panique sont parfaitement compréhensibles. Je la vois plutôt comme une victime se démenant contre sa psyché, cherchant à dépasser son traumatisme, mais n’y parvenant pas encore totalement en raison du peu de temps qui s’est écoulé depuis qu’elle a appris la vérité. Sa volonté d’avancer est tout à son honneur, car ses sessions « thérapeutiques » avec le docteur Armand sont de la pure torture psychologique. Le chapitre qui en traite est brutal et l’auteur nous en fait ressentir tout l’horreur.
Elle avait un peu honte de ne pas éprouver le même sentiment envers Tonton ; en fait, elle devait s’avouer qu’elle ne l’aimait pas ; enfin, pas vraiment. Comment aurait-elle pu? C’était un homme. Peut-être bien qu’elle était vraiment une saphienne, se disait-elle parfois, mais elle pensait plutôt qu’elle ne pouvait se permettre d’aimer qui que ce soit, que sa capacité d’aimer lui avait été enlevée avec tout le reste, au fil des viols en série.
p. 41-42
J’ai hâte de lire la suite de ce combat intérieur, de voir l’évolution de Christine dans les prochains volumes.
Sinon, le personnage de Quentin est également prometteur. Je suis confiante qu’il sera davantage développé au fil des deux prochains romans.
Une introduction habile à un univers original
Il est rare que j’aie le plaisir de lire un roman de fantasy dont l’univers est aussi original. J’adore l’idée des mondes factices et la manière dont l’auteur en exploite le potentiel. J’ai également apprécié la façon dont la « facticité » est introduite, c’est-à-dire à travers la dissémination apparemment banale de termes et/ou de concepts qui ne sont pas propres à la réalité du lecteur. Car si Christine semble d’abord vivre dans le monde que l’on connaît, on réalise soudain, par exemple, que les jours de la semaine ne porte pas les mêmes noms. L’auteur n’en fait pas de cas, puisque la protagoniste n’en fait de cas ; il s’agit après tout de ce que elle connaît. Cela dit, il est intéressant de remarquer les moments où Christine ressent un détachement vis-à-vis de certaines choses qui ne viennent pas de son monde, notamment envers l’importance accordée aux signes astrologiques.
Une fin qui promet
Il y aurait encore beaucoup à dire sur Chrysanthe 1. La Princesse perdue, mais je frise déjà le spoiler. Ce premier tome m’a absolument emballé et je suis vraiment impatiente de lire le tome suivant de cette trilogie fantasy, Le Prince rebelle. L’introduction, vers la fin du livre, du monde de Chrysanthe, de ses principes magiques et de quelques-unes de ses créatures, est alléchante et promet pour la suite. Il s’agit de mon roman d’Yves Meynard préféré jusqu’à maintenant.
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