Publiée en version exclusivement numérique chez ActuSF en 2016, la novella Les Questions dangereuses de Lionel Davoust doit reparaître le 3 janvier 2019 dans une nouvelle édition papier augmentée d’un entretien réalisé par Nicolas Barret avec l’auteur français.
Un texte riche en références à la littérature française
Il s’agit d’un texte de fantasy qui parodie tout en finesse les grands récits épiques comme Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas. À cet effet, on y retrouve nombre de références aux classiques de la littérature française, lesquelles sont un agréable bonus pour qui peut les repérer. D’abord, il y a les références évidentes à l’œuvre de Dumas : le protagoniste est un mancequetaire, par opposition à un mousquetaire ; son meilleur ami s’appelle Batz d’Arctangente, dont le nom de famille n’est pas sans rappeler d’Artagnan, etc. On a aussi des références plus subtiles, comme quand Thésard de la Meulière se rend au bal de « madame de Chartreuse », clin d’œil à La Chartreuse de Parme de Stendhal.
Enfin, il y a les piques visant le courant littéraire des romantiques et sa poésie jugée dépressive.
J’ai compris que l’existence n’a aucune signification!
— Peuh, monsieur, vous parlez comme un romantique!
En effet, la maladie qui menace le peuple est la neurasthénie (un synonyme de « dépressif » est « neurasthénique »), qui renvoie au « mal du siècle[1] ». De plus, un autre synonyme de « neurasthénie » est « spleen », ce qui évoque le spleen baudelairien[2], lequel est clairement suggéré par l’intermédiaire de François-René de Spline, personnage indubitablement associé à la dépression romantique. Sans doute ai-je manqué de nombreuses références, mais ces quelques exemples montrent bien la richesse intertextuelle de cette novella à l’apparence trompeusement banale.
Une écriture précieuse pour parodier les grands récits épiques
Les Questions dangereuses est écrit dans un style extrêmement précieux. Il s’agit d’une écriture qui ne plaira peut-être pas à tout le monde, mais qui est on ne peut plus appropriée au dessein du texte. La novella parodie les récits héroïques classiques et, à cet effet, Lionel Davoust mimique le style excessivement recherché de ces derniers. Il en fait trop même, ou plutôt juste assez, car c’est le propre de la parodie que d’en faire trop, pour nous faire rire, et on ne peut que rire en lisant des passages « épiques » comme :
Mais la vie riche du mancequetaire, faite de libations aussi culinaires qu’intellectuelles, se rappela bientôt au souvenir de son corps empesé et surtout de son souffle ; quand il atteignit le poste d’observation de l’agresseur, il n’était plus capable que de marcher…
La plume est plus forte que l’épée
En anglais, on dit « the pen is mightier than the sword », expression que l’on a traduit en français par « la plume est plus forte que l’épée ». L’univers des Questions dangereuses univers est fondé sur ce principe. L’érudit, en ce sens, est le plus adepte des guerriers :
…il [Thésard de la Meulière] maniait la Question comme d’autres la balle au jeu de paume, avec précision et violence, en défi, en outil servant à remporter la victoire.
Bien que je sois tentée de vous expliquer le fonctionnement des Questions et des Réponses, je vais m’abstenir pour vous laisser le plaisir de la découverte de ce système magique aussi comique que brillant, et assurément inédit.
Un texte court à la richesse inattendue
Les Questions dangereuses est une novella de fantasy totalement réjouissante à la prémisse originale et à la richesse inattendue, qui se lit vite malgré son style précieux. Qui plus est, Lionel Davoust parvient, malgré le nombre de pages limités, à dépeindre des personnages et un univers suffisamment complexes que le lecteur n’est pas laissé sur sa faim, ce qui est souvent le reproche fait au texte court.
…le lecteur féru d’histoire se rappellera que le XVIIe siècle constituait à tous égards l’âge d’or de la noblesse d’esprit ; en guerre comme dans les rues, l’on se battait et l’on mourait encore de manière civilisée, la Réponse coincée dans la gorge, un élégant filet de sang coulant par les tympans, la cervelle vidée par une Question assassine.
Se procurer Les Questions dangereuses
![DAVOUST, Lionel, Les Questions dangereuses, Chambéry, ActuSF, coll. « Hélios », 2019 [2016], 128 p. Avis lecture sur lilitherature.com. Service de presse: ActuSF.](https://i0.wp.com/lilitherature.com/wp-content/uploads/2018/12/lesquestionsdangereuses.jpg?resize=500%2C818&ssl=1)
[1] Le mal du siècle est plus précisément le mal du 19ème siècle. C’est l’« état de mélancolie et de dépression touchant les jeunes générations ». Il s’agit d’un thème majeur de la littérature romantique. (L’Internaute, « mal du siècle », http://www.linternaute.fr/expression/langue-francaise/17695/mal-du-siecle/ [page consultée le 23 décembre 2018])
[2] « Le spleen baudelairien désigne une profonde tristesse née du mal de vivre » (WIKIPÉDIA, « Spleen baudelairien », https://fr.wikipedia.org/wiki/Spleen_baudelairien [page consultée le 23 décembre 2018]).
Merci aux éditions ActuSF de m’avoir fait parvenir une copie de la novella Les Questions dangereuses de Lionel Davoust.
Très chouette chronique. Je vais suivre ton blog à l’avenir !
Merci! 🙂