Avis lecture du roman d’Ernest Cline
Ready Player One est un roman de science-fiction « dystopique » d’Ernest Cline ayant remporté un succès phénoménal, sans doute parce que l’auteur américain dessert ici un public généralement délaissé par le monde littéraire : les gamers et les geeks. Étant moi-même une geek, le concept de ce roman m’a immédiatement intrigué.
Un roman à l’intrigue incroyablement clichée
Malheureusement, à l’exception de la prémisse à la base du roman, Ready Player One est totalement dépourvu d’originalité. L’antagoniste est bien évidemment une entreprise capitaliste cumulant les clichés associés à ce stéréotype. Dans cet ordre d’idées, le texte est excessivement manichéen, représentant finalement (sans subtilité) l’éternel combat entre le bien et le mal, entre la méchante société assoiffée d’argent (IOI : Innovative Online Industries) et les nobles héros au cœur pur (ils aiment l’Oasis pour ce qu’elle est ; l’amour du jeu pour le jeu).
À cette intrigue aussi vieille que le monde s’ajoute l’inévitable romance adolescente. Et non seulement cette romance semble forcée – bien sûr, le héros est amoureux de l’avatar de LA gameuse (c.-à-d., la fille cool et populaire) – mais en plus elle n’a rien à faire ici. L’histoire d’amour est trop peu crédible pour que le lecteur s’y intéresse, si bien qu’elle est inutile. Si l’auteur n’est pas prêt à prendre le temps nécessaire pour la développer, il n’aurait tout simplement pas dû l’inclure.
Une dystopie édulcorée
Ready Player One est techniquement une dystopie, c’est-à-dire un « récit de fiction dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu’elle empêche ses membres d’atteindre le bonheur[1] ». Cela dit, on passe si peu de temps à dépeindre l’univers que le roman a peu à voir avec une dystopie. On ne sait presque rien de la société à l’extérieur de l’Oasis. Quant à l’Oasis lui-même, une fois son fonctionnement présenté, on se contente de faire défiler les différents décors geeks. La dystopie est une excuse pour parler de jeux vidéo.
Beaucoup de références, peu de contenu
La plus grave offense du roman, au final, est d’être vide. Ready Player One se présente dans un joli emballage de références aux jeux vidéo, mais il est vide à l’intérieur. Cline bombarde son lecteur de clins d’œil à la culture populaire, comme pour faire oublier l’absence de contenu du livre. Il s’agit d’une lecture superficielle : rien n’est approfondi, ni les personnages ni l’univers. C’est un roman qui n’a rien à dire.
![CLINE, Ernest, Player One, Neuilly-sur-Seine, Michel Lafon, 2013 [2012], 400 p. Ready Player One: Du livre d’Ernest Cline au film de Steven Spielberg - Avis lecture de Ready Player One, le roman de science de l'auteur américain Ernest Cline, et critique de l'adaptation cinématographique de Steven Spielberg. Sur lilitherataure.com: https://lilitherature.com/2019/01/16/ready-player-one/.](https://i2.wp.com/lilitherature.com/wp-content/uploads/2019/01/readyplayeronebroadwaybooks.jpg?ssl=1)
![CLINE, Ernest, Player One, Neuilly-sur-Seine, Michel Lafon, 2013 [2012], 400 p. Ready Player One: Du livre d’Ernest Cline au film de Steven Spielberg - Avis lecture de Ready Player One, le roman de science de l'auteur américain Ernest Cline, et critique de l'adaptation cinématographique de Steven Spielberg. Sur lilitherataure.com: https://lilitherature.com/2019/01/16/ready-player-one/.](https://i0.wp.com/lilitherature.com/wp-content/uploads/2019/01/player_one_michellafon.png?ssl=1)
Un roman pauvre
Ainsi, même si je peux admettre que Ready Player One est un page-turner efficace et que mon côté geek a certainement apprécié, je sais reconnaître que le roman est objectivement pauvre. Il accumule les stéréotypes et ne développe rien. Ernest Cline se contente de jouer avec l’attrait de la culture populaire et la fibre nostalgique des gamers de la génération précédente.
Critique du film de Steven Spielberg
Une prémisse propice à une adaptation cinématographique
S’il y a un livre qui avait tout à gagner à être adapté au cinéma, c’est bien Ready Player One d’Ernest Cline. L’univers du jeu vidéo se prête naturellement à une transposition visuelle. C’est l’occasion parfaite de glisser des références visuelles plus modernes, ce que fait le film dans un premier temps : le jeu Overwatch, par exemple, est amplement représenté sous forme d’avatars variés. Vous pouvez d’ailleurs le constater en regardant simplement la bande-annonce :
Mais au final, comme le roman duquel il est adapté, l’adaptation n’est que références et easter eggs[2].
Des défauts exacerbés
Même après avoir lu le roman et avoir constaté ses défauts, j’étais confiante que le travail de réécriture nécessaire au passage à l’écran saurait garder le meilleur et atténuer le pire. Pour une raison que j’ignore, le film de Steven Spielberg fait le contraire : il exacerbe les défauts déjà existants dans le roman. On réduit le world-building encore plus ; on passe plus de temps sur la romance ; on rend la méchante entreprise encore plus machiavélique et ridicule à travers le personnage de Nolan Sorrento joué par Ben Mendelsohn…
Un scénario qui ne tient pas debout
Parlant de ce personnage, il est le parfait exemple de l’un des plus gros problèmes du film : il n’est pas crédible. À l’instar de sa totale incompétence nécessaire à la progression de l’intrigue (s’il était le moindrement compétent, les héros seraient bien mal pris), le scénario prend un nombre considérable de raccourcis et s’enlisent dans les plotholes. Quand je regarde un blockbuster, je veux bien tolérer quelques incohérences ou des petits raccourcis, mais il y a des limites. Ready Player One dépasse ces limites, si bien que le spectateur est incapable de croire en la plausibilité du récit, même dans le contexte particulier du film. Je ne peux pas entrer dans les détails sans spoiler, mais j’ai bien en tête quelques scènes spécialement ridicules.
Le spectateur n’est pas investi émotionnellement

Enfin, le clou dans le cercueil : l’affrontement final ne soulève aucune émotion chez le spectateur, puisqu’il n’y a pas véritablement de risques. De 1) on a du mal à apprécier le sacrifice des joueurs quand ce n’est que leur avatar qui meurt ; et 2) au pis, l’Oasis continue d’exister, mais passe entre les mains des programmeurs de l’IOI. C’est un problème dont souffre aussi le roman dans une certaine mesure, mais l’auteur prend cependant soin de bien préciser ce qu’implique la mort d’un avatar dans l’Oasis (la perte de toutes ses ressources et ses niveaux, ce qui veut dire que l’on doit recommencer à zéro) et d’expliquer les conséquences qu’auraient la prise de pouvoir de la méchante entreprise (l’Oasis deviendrait un espace capitaliste, difficile à accéder pour les plus pauvres d’une société déjà peu riche). Spielberg, quant à lui, échoue à bien démontrer l’enjeu que représente le contrôle de l’Oasis pour ses utilisateurs comme la société en général.
Une médiocrité plus ou moins égale
Vous aurez compris que je n’ai pas été impressionnée par l’adaptation cinématographique du roman Ready Player One d’Ernest Cline. Il s’agit de l’un des rares cas où il me semblait qu’une adaptation pourrait légitimement, en raison des thématiques abordées, dépassée son matériel d’origine, mais le livre comme le film sont au final très médiocres.
[1] WIKIPÉDIA, « Dystopie », <https://fr.wikipedia.org/wiki/Dystopie> (page consultée le 15 janvier 2019).
[2] Pour ceux d’entre vous qui ne sont pas familiers avec le terme, un easter egg est une image, un message ou autre que les créateurs cache intentionnellement à l’intérieur de leur jeu, leur film, leur série télévisée, etc. (WIKIPEDIA, « Easter egg (media) », <https://en.wikipedia.org/wiki/Easter_egg_(media)>, page consultée le 15 janvier 2019).