The Hobbit: The Desolation of Smaug (2013)

Du conte pour enfants The Hobbit de JRR Tolkien à la trilogie cinématographique de fantasy épique de Peter Jackson

TOLKIEN, JRR, The Hobbit, Hammersmith, HarperCollinsPublishers, 2012 [1937], 300 p.
TOLKIEN, JRR, The Hobbit, Hammersmith, HarperCollinsPublishers, 2012 [1937], 300 p.

Dans la foulée du triomphe incontestable du Lord of the Rings (LOTR) de JRR Tolkien transposé à l’écran par Peter Jackson en 2001, 2002 et 2003, l’adaptation de The Hobbit[1], le roman qui précède chronologiquement Le Seigneur des anneaux, est annoncée. Après une série de péripéties tumultueuses[2], Le Hobbit sort au cinéma sous la forme de trois films réalisés, à l’instar de LOTR, par Peter Jackson : An Unexpected Journey (2012), The Desolation of Smaug (2013) et The Battle of the Five Armies (2014). La trilogie, bien qu’un succès au box-office, est mal reçue par la critique. En effet, YouTube n’est pas en manque de vidéo essais soulignant tout ce qui cloche dans ces films[3]. Ces vidéos, cependant, abordent la question d’un point de vue avant tout cinématographique. Je ne possède évidemment pas les connaissances techniques nécessaires pour considérer la série de films sous cet angle. Mon approche sera donc celle d’une littéraire et, en conséquence, mon analyse prendra le roman de Tolkien comme point de départ. Plus précisément, je démontrerai en quoi la trilogie cinématographique échoue dans son adaptation par son incapacité à choisir entre la nature bon enfant du matériel d’origine et la grandeur de LOTR, qu’elle cherche à émuler.

TOLKIEN, JRR, Le Hobbit, Paris, Le Livre de Poche, 2015 [1937], 408 p.
TOLKIEN, JRR, Le Hobbit, Paris, Le Livre de Poche, 2015 [1937], 408 p.

Résumé du Livre de Poche, 2015 : Bilbo, comme tous les hobbits, est un petit être paisible et sans histoire. Son quotidien est bouleversé un beau jour, lorsque Gandalf le magicien et treize nains barbus l’entraînent dans un voyage périlleux. C’est le début d’une grande aventure, d’une fantastique quête au trésor semée d’embûches et d’épreuves, qui mènera Bilbo jusqu’à la Montagne Solitaire gardée par le dragon Smaug…

Le roman de JRR Tolkien : Un conte pour enfants

The Hobbit est un classique de la fantasy et de la littérature pour enfants. En tant que tel, le ton du roman est celui du conte, adresses au lecteur par le narrateur comprises.

This is a story of how a Baggins had an adventure, and found himself doing and saying things altogether unexpected. He may have lost the neighbours’ respect, but he gained—well, you will see whether he gained anything in the end.

Chapter I: An Unexpected Party

Dans cet esprit, l’histoire ne se veut pas « réaliste », dans le sens où les lois de l’univers sont souples et ne suivent pas nécessairement notre logique. Par exemple, certains figurants peuvent être particulièrement stupides pour les besoins de l’histoire. C’est le cas notamment quand les elfes relâchent des barils suspicieusement lourds (car les nains y sont cachés) dans la rivière.

“Get on with the work!” growled the butler. “There is nothing in the feeling of weight in an idle toss-pot’s arms. These are the ones to go and no others. Do as I say!”

“Very well, very well,” they answered rolling the barrels to the opening. “On your head be it, if the king’s full buttertubs and his best wine is pushed into the river for the Lake-men to feast on for nothing!”

Chapter IX: Barrels Out of Bond

Les elfes émettent certes un commentaire sur le poids inhabituel des barils, mais ne se posent pas de questions outre mesure. Dans un roman pour enfants adoptant le ton surréaliste du conte, ce genre de « facilités » est parfaitement approprié.

La trilogie de Peter Jackson : Une saga de fantasy épique pour adultes

Ces facilités ne peuvent cependant pas être tolérées dans le cas d’un récit pour adultes, ce que prétend être Un voyage inattendu, La désolation de Smaug et La bataille des Cinq Armées. Plus précisément, ces films cherchent à reproduire le ton du Seigneur des anneaux, qui est celui de la fantasy épique[4]. Ceci n’est pas un défaut en soi, tant que la réécriture prend en compte ce changement de registre.

Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas dans cette adaptation. On se retrouve plutôt avec un méli-mélo tonal où on alterne, apparemment au hasard, entre le sérieux propre à LOTR et le surréalisme enfantin de l’œuvre originale. La scène où les nains s’échappent en flottant dans des barils illustre bien ce paradoxe. On y juxtapose la gravité des elfes et la comédie d’action des nains : d’une part, on a des elfes qui se battent et meurent contre les orques ; d’autre part, on a des nains apparemment indestructibles qui rebondissent dans des barils de bois à ressorts.

Le passage des barils est charmant dans le cadre d’un conte pour enfants ; dans une histoire qui se veut mature, la scène est un peu (beaucoup) ridicule. Le mariage des tons n’est donc pas heureux : le spectateur ne peut à la fois ne pas prendre au sérieux et prendre au sérieux l’histoire.

La double trahison de l’adaptation du Hobbit de Tolkien

Dans son refus de renier complètement la nature de son matériel d’origine (un conte pour enfants) tout en cherchant à recréer la magie du Seigneur des anneaux, (une œuvre de fantasy épique destinée à un public adulte), la trilogie de Peter Jackson commet finalement une double trahison : elle ne respecte ni l’essence du Hobbit de Tolkien, qu’elle prétend pourtant adaptée, ni celle de LOTR, qu’elle tente désespérément de reproduire. Sans doute cette confusion est-elle en partie due aux nombreux problèmes rencontrés lors de la production, mais je pense surtout que l’âme du roman a tout simplement été lost in translation, notamment dans une volonté de faire du Hobbit ce qu’il n’est pas (vraiment), c’est-à-dire un prequel au Seigneur des anneaux.


[1] JRR Tolkien, The Hobbit, Hammersmith, HarperCollinsPublishers, 2012 [1937], 300 p. L’œuvre est libre de droit et donc facilement trouvable en ligne gratuitement (en anglais en tout cas) si vous désirez la lire, notamment par ici.

[2] À ce sujet, je vous conseille la série de vidéos de Lindsay Ellis qui traite en profondeur des problèmes behind the scenes en trois parties : The Hobbit: A Long-Expected Autopsy (1) ; The Hobbit: Battle of Five Studios (2) ; The Hobbit: The Desolation of Warners (3).

[3] Pour une analyse de ce qui ne fonctionne pas avec la trilogie du Hobbit, voir entre autres la série « Why the Hobbit Sucks » de Just Write, qui comprend The Dwarves (1), Tensionless Action (2), Unresolved Plotlines (3), Bad Romance (4) et Philosophy of Adaptation (5).

[4] La fantasy épique est un sous-genre de la fantasy qui met en scène un ou des héros dans des aventures sérieuses. Il s’inscrit donc dans la lignée de l’épopée et du roman d’aventures. Le Seigneur des anneaux en est l’œuvre emblématique. (WIKIPÉDIA, « Sous-genres de la fantasy », <https://fr.wikipedia.org/wiki/Sous-genres_de_la_fantasy> [page consultée le 21 mars 2019]).

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