L’énumération
Vous savez sans doute ce qu’est une énumération. Il s’agit de l’une des premières figures de style que l’on apprend à repérer / utiliser à l’école. Cela dit, on s’attarde rarement à la définir en détails puisqu’elle semble être une évidence.
Une énumération consiste à détailler successivement les différentes parties d’un tout que l’on veut décrire[1].
Pour parler d’une énumération, trois éléments doivent être listés au minimum.
Ces éléments sont typiquement de même nature.
L’inspiration obéit, comme la faim, comme la digestion, comme le sommeil[2].
Conseils aux jeunes littérateurs de Charles Baudelaire
Trois éléments, trois fonctions biologiques introduites avec un « comme ».
Ils sont séparés par des virgules, parfois par des points-virgules ( ; ).
Tout le café pensa que le sourire de : (pour le colonel : l’inverti; pour les commerçants : la chochotte; pour le banquier et les garçons : la proutt; pour les gigolos : « celle-ci », etc.) était abject[3]
Notre-Dame-des-Fleurs de Jean Genet
Le dernier élément est généralement amené par une conjonction de coordination telle que « et », « ou » ou « ainsi que ».
les bois se transforment petit à petit en parkings, phagocytés par le K-Mart, le Kentucky Fried Chicken et le TacoBell[4].
Le ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis

Dans le cas d’une énumération ouverte, – non fermée dans le sens où tous les éléments existants ne sont pas nommés, probablement car ils sont trop nombreux – on oublie le « et ». Le tout se termine par quelque chose comme un « etc. », un « ainsi de suite » ou des trois petits points (…).
Il s’appelait Jean-Baptiste Grenouille et si son nom, à la différence de ceux d’autres scélérats de génie comme par exemple Sade, Saint-Just, Fouché, Bonaparte, etc., est aujourd’hui tombé dans l’oubli[5]
Le Parfum de Patrick Süskind
On ne peut qu’haïr le Québec, le détester pour sa petitesse, ses ratages, sa morosité, sa frilosité face à tout engagement, sa lâcheté, ses Robert Laflamme…[6]
Ça va aller de Catherine Mavrikakis
Dans le premier exemple, l’énumération est ouverte puisque l’on pourrait convoquer plusieurs autres génies du mal. Dans le second, les trois points suggèrent que le Québec a beaucoup d’autres fautes selon la narratrice.
Une énumération est fréquemment introduite par le signe de ponctuation des deux-points ( : ), …
À l’intérieur, il avait ce qu’il devait y avoir : des danseuses nues, des clients, et quelques clientes distribuées çà et là[7]
Paradis, clef en main de Nelly Arcan

…un marqueur de comparaison (« par exemple », « à titre d’exemple », « comme », « tel que », etc.), comme dans la citation du Parfum que l’on retrouve plus haut, ou la locution « à savoir ».
Cette encyclopédie traite de nombreux sujets, à savoir : les mathématiques, la chimie, la physique, la biologie et la philosophie[8].
OQLF
L’énumération versus deux formes littéraires
L’énumération est une figure de style alors que l’inventaire et la liste sont des formes littéraires (brèves) que l’on retrouve généralement dans une forme plus longue, comme le roman.
L’énumération versus l’inventaire
Quand l’énumération est exhaustive, c’est-à-dire quand toutes les parties du tout sont nommées, on parle d’inventaire[9].
L’inventaire à la Prévert est une « liste, énumération hétéroclite, [un] inventaire qui n’a apparemment ni queue ni tête[10] », soit un inventaire de choses qui ne vont apparemment pas ensemble.
L’énumération versus la liste
La liste est souvent une énumération présentée sous forme verticale.
On dit qu’une liste est fermée quand tous les éléments du tout sont recensés. La liste est alors souvent synonyme d’inventaire, mais pas toujours. Si je fais la liste des cinq différents noms des doigts de la main, il ne s’agit que d’une liste fermée. Si je fais la liste de toutes les parties du corps humain, c’est une liste fermée longue et donc aussi un inventaire.
On dit qu’une liste est ouverte quand la liste se termine de façon arbitraire, au choix de son auteur, car une liste exhaustive serait trop longue. C’est la liste qui se finit par un « etc. ».
L’énumération versus deux autres figures de style
L’énumération, mais surtout l’accumulation et la gradation, sont toutes des figures de style qui ont un effet d’amplification, c’est-à-dire qui ont pour but de renforcer le propos[11].
L’énumération versus l’accumulation
« Lorsque l’énumération semble excessive ou interminable, on parle d’accumulation[12] ». « L’accumulation garde quelque chose de moins logique : elle saute d’un point de vue à l’autre, semble pouvoir se poursuivre indéfiniment, tandis que l’énumération a une fin[13] ». L’accumulation crée donc un effet de profusion, ce qui apparaît évident quand on lit la citation suivante :
Il prononçait fille au lieu de fille, Firmin au lieu de Firmin, fayot au lieu de fayot, fichez-moi la paix au lieu de fichez-moi la paix, fatras au lieu de fatras, fifi, fon, fafa au lieu de fifi, fon, fafa ; Philippe, au lieu de Philippe; fictoire au lieu de fictoire ; février au lieu de février ; mars-avril au lieu de mars-avril ; Gérard de Nerval et non pas, comme cela est correct, Gérard de Nerval ; Mirabeau au lieu de Mirabeau, etc., au lieu de etc., et ainsi de suite etc. au lieu de etc., et ainsi de suite, etc.[14]
La leçon d’Eugène Ionesco
L’énumération versus la gradation
Alors que l’énumération liste des éléments de « même niveau hiérarchique », la gradation est une énumération à laquelle on ajoute l’idée de degré.
Gradation (latin gradatio, -onis, de gradus, degré) : Progression par degrés, le plus souvent ascendants, d’un état à un autre […].
Figure de rhétorique qui consiste à disposer les termes d’une énumération dans un ordre de valeur croissant ou décroissant[15].
On parle de gradation ascendante quand les éléments sont en ordre croissant, du plus faible au plus fort, par exemple quand on va du moindre défaut à la plus grande faute morale.
ce n’est assurément pas que Grenouille fût moins bouffi d’orgueil, moins ennemi de l’humanité, moins immoral, en un mot moins impie que ces malfaisants plus illustres, mais c’est que son génie et son unique ambition se bornèrent à un domaine qui ne laisse point de traces dans l’histoire : au royaume évanescent des odeurs[16].
Le Parfum de Patrick Süskind
On parle de gradation descendante quand les éléments sont en ordre décroissant, du plus fort au plus faible[17], par exemple quand on passe des « plus hautes tâches […] à pas grand-chose ».
On lance des sorts à celle qui verra le jour, on lui concocte un avenir, on la prédestine aux plus hautes tâches, à la gloire, à la renommée, ou encore à pas grand-chose[18].
Ce qui restera de Catherine Mavrikakis
La gradation crée un effet de dramatisation. Pour être plus précis, elle engendre « une tension narrative en conduisant progressivement un épisode à son point décisif[19] ».
En somme, l’inventaire, la liste, l’accumulation et la gradation sont toutes des formes d’énumération, mais toutes énumérations n’est pas un inventaire, une liste, une accumulation ou une gradation. La nuance est spécialement importante dans le cadre d’une analyse littéraire.
[1] Études littéraires, « Énumération », <https://www.etudes-litteraires.com/figures-de-style/enumeration.php> (page consultée le 30 mai 2019).
[2] Charles Baudelaire, Conseils aux jeunes littérateurs, Paris, Éditions du Boucher, 2002 [1846], p. 8. Fac-similé numérique : http://www.leboucher.com/pdf/baudelaire/b_baud_cj.pdf. [analyse]
[3] Jean Genet, Notre-Dame-des-Fleurs, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1948, p. 14. [extrait]
[4] Catherine Mavrikakis, Le ciel de Bay City, Montréal, Héliotrope, 2008, p. 95. [analyse]
[5] Patrick Süskind, Le parfum – Histoire d’un meurtrier, Paris, Fayard, 1985, p. 4. [analyse] [extrait]
[6] Catherine Mavrikakis, Ça va aller, Montréal, Bibliothèque québécoise, 2013 [2002], p. 83. [analyse]
[7] Nelly Arcan, Paradis, clef en main, Montréal, Coups de tête, 2009, 216 p. [avis lecture] [extrait]
[8] Office québécois de la langue française, Banque de dépannage linguistique, « À savoir », <http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?id=3290> (page consultée le 30 mai 2019).
[9] Études littéraires, « Énumération », <https://www.etudes-litteraires.com/figures-de-style/enumeration.php> (page consultée le 30 mai 2019).
[10] Wikipédia, « inventaire à la Prévert », <https://fr.wiktionary.org/wiki/inventaire_%C3%A0_la_Pr%C3%A9vert> (page consultée le 30 mai 2019).
[11] Études littéraires, « Amplification », <https://www.etudes-litteraires.com/figures-de-style/amplification.php> (page consultée le 30 mai 2019).
[12] Études littéraires, « Énumération », <https://www.etudes-litteraires.com/figures-de-style/enumeration.php> (page consultée le 30 mai 2019).
[13] B. Dupriez, Dictionnaire des procédés littéraires, cité dans Études littéraires, « Énumération », <https://www.etudes-litteraires.com/figures-de-style/enumeration.php> (page consultée le 30 mai 2019).
[14] Eugène Ionesco, La leçon, 1951, p. 21. Fac-similé numérique : http://www.eduhi.at/dl/TH_LaLecon_neu.pdf. [analyse]
[15] Dictionnaire de français Larousse en ligne, « gradation », <https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/gradation/37738> (page consultée le 30 mai 2019).
[16] Patrick Süskind, Le parfum – Histoire d’un meurtrier, Paris, Fayard, 1985, p. 4.
[17] Dictionnaire de français Larousse en ligne, « gradation », <https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/gradation/37738> (page consultée le 30 mai 2019).
[18] Catherine Mavrikakis, Ce qui restera, Montréal, Québec Amérique, coll. « III », 2017, p. 13. [avis lecture]
[19] Carole Pilote (dir.), Guide littéraire, 2e édition, Montréal, Beauchemin, Chenelière Éducation, 2007, p. 64.