Le revers (Les herbes rouges, 2018) de Roxane Desjardins figurait parmi les finalistes du prix du Gouverneur général 2018 catégorie Poésie, notamment au côté de La dévoration des fées de Catherine Lalonde [avis lecture] et Cruauté du jeu de France Théoret [goodreads] sur lesquels j’ai déjà offert mon avis. Il s’agit d’un recueil de poésie en vers libres assez conventionnel dans sa présentation, qui traite d’un thème universel : l’amour.
Un style simple, mais personnel
Le style du Revers est plutôt élémentaire. À ce sujet, Dominic Tardif du Devoir dit de Desjardins qu’elle écrit « avec une absence de lyrisme digne d’un rapport de police rédigé par une enquêtrice particulièrement assoiffée de justice[1] ». Je suis d’accord qu’il y a, de façon générale, une certaine absence de lyrisme, mais je ne crois pas que l’on puisse dire qu’on s’approche un tant soit peu de la sécheresse d’un rapport de police. Je comprends que ce n’était pas formulé comme une critique mais comme une observation d’un choix stylistique. Je vois aussi d’où vient la comparaison : le style est simple, le recueil est court même selon les standards de la poésie et les poèmes eux-mêmes son très courts. Cela dit, l’écriture de Desjardins est beaucoup trop personnelle pour que l’analogie fonctionne. Plutôt, l’intention du recueil se résume dans ce poème selon moi :
le riche m’échappe je jubile j’accède à l’inanition
je m’impose
dégoutte de liesse sur tes papiers
c’est cela
pour moi
c’est le propre des poèmes
j’expédie notre hésitation
suspects
flagrants
contrits
tu as le velours facile j’ai la catastrophe imminente
Une réflexion personnelle sur le revers du mythe amoureux
Le revers c’est, tout comme l’indique l’auteure en quatrième de couverture, le revers[2] des romans d’amour : le revers – la face opposée – de la médaille ; le revers – l’échec – que l’on peut subir ; le revers – l’envers – de la fiction amoureuse que les gens se construisent. En effet, les relations amoureuses, comme à peu près tout, sont régies par des règles officieuses qui nous dictent comment on doit se comporter dans telle ou telle situation : par ex., il n’est pas bien vu pour une femme de coucher au premier rendez-vous ; typiquement, c’est l’homme qui doit faire la demande en mariage ; etc. Ce recueil est le résultat de la réflexion personnelle – notamment signalée par le « je » – de Roxane Desjardins sur l’amour, ses mythes et les règles arbitraires que l’on s’impose.
le règlement sculpte
la femme en paratonnerre
la femme en ciguë
je refuse
je ne battrai plus des paupières
et personne ne sera pas sauvé
« Je » versus « tu » : entre le personnel et l’impersonnel
À ce « je » éminemment personnel s’oppose un « tu », personne en particulier et donc tout le monde à la fois. En effet, le « tu », de l’aveu de l’auteure, « c’est, vraiment, qui on veut[3] ». Desjardins s’adresse-elle à un amant précis, ou à un amant potentiel? Ou le « je » est-il nous et le « tu » réfère-t-il à notre propre partenaire? Nous interpelle-t-elle, nous le lecteur, pour nous pousser à questionner la fiction amoureuse?
première tête : tomber
tu me rassures
mes parades sont sauves
j’ai l’exclusivité de la faiblesse
En ce sens, le « tu » est à la fois impersonnel dans son anonymat et personnel dans son adresse familière. L’indétermination demeure ainsi, puisque le « tu » peut être un amant quelconque (on ne dit pas « vous » à son partenaire) ; mais « tu » peut aussi être le lecteur, avec qui l’auteure tisse habilement un lien plus intime grâce à un style épuré et au tutoiement, l’incluant ainsi dans le dialogue / la réflexion.
Un recueil de poésie accessible
Avec un vocabulaire relativement simple et des poèmes courts, Le revers de Roxane Desjardins se lit très rapidement. Tout aussi accessible par la thématique qu’il aborde, soit le mythe de l’amour, ce recueil de poésie saura plaire à un public assez large. Personnellement, j’aurais apprécié un peu plus de folie dans la forme, mais c’est parce que je suis particulièrement friande d’expérimentations.
ceci n’est pas un massacre
c’est l’antonyme d’un éboulement

[1] Dominic Tardif, « “Le revers”: Roxane Desjardins, du renoncement de soi à la révolte », Le Devoir, 24 mars 2018, <https://www.ledevoir.com/lire/523461/roxane-desjardins-du-renoncement-de-soi-a-la-revolte> (page consultée le 2 juin 2019).
[2] Côté opposé au principal ou à celui qui se présente le premier ou le plus souvent à la vue : Le revers d’une tapisserie.
Échec, défaite : L’armée a subi des revers. […]
Envers retourné sur l’endroit, d’un col d’un parement, etc. […]
Face d’une monnaie ou d’une médaille opposée au droit (ou avers) (Dictionnaire de français Larousse en ligne, « revers », <https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/revers/69114> (page consultée le 2 juin 2019).
[3] Roxane Desjardins, citée dans « “Le revers” : jasette avec Roxane Desjardins », entrevue par Elizabeth Lord, Les méconnus, 22 mars 2018 <https://lesmeconnus.net/le-revers-roxane-desjardins-entrevue/> (page consultée le 2 juin 2019).