Couverture de La route de Cormac McCarthy

The Road de Cormac McCarthy : Une réécriture apocalyptique de la Genèse

La modernité est emprunte de mythes. Cela se manifeste notamment par de nombreuses réécritures mythiques comme Ulysse de James Joyce, L’Amour de Phèdre de Sarah Kane, Hamlet-machine d’Heiner Müller ou Antigone d’Henry Bauchau. Aussi, si on s’intéresse de plus près à l’art contemporain et plus précisément au cinéma, on peut penser à des films apocalyptiques comme Le Sacrifice d’Andreï Tarkovski et Le Septième Sceau d’Ingmar Bergman. Cependant, pour un exemple plus précis, nous nous pencherons sur la réécriture apocalyptique de la Genèse faite dans The Road de l’auteur américain Cormac McCarthy.

L’apocalypse a eu lieu. Le monde est dévasté, couvert de cendres. Un père et son fils errent sur une route, poussant un caddie rempli d’objets hétéroclites et de vieilles couvertures. Ils sont sur leurs gardes car le danger peut surgir à tout moment. Ils affrontent la pluie, la neige, le froid. Et ce qui reste d’une humanité retournée à la barbarie. Cormac McCarthy raconte leur odyssée dans ce récit dépouillé à l’extrême[1].

Le détournement du lexique religieux

Plusieurs aspects du roman de McCarthy s’inscrivent dans cette volonté de réécriture du mythe originel. D’abord, notons, d’un point de vue formel, l’emploi d’un vocabulaire biblique à des fins apocalyptiques.

He caught it [the sky] in his hand and watched it expire there like the last host of christendom[2].

p. 16

Ici, l’utilisation de l’expression « the last host of christendom », spécialement en conjonction avec le verbe « expire », associe clairement la fin du monde à la fin du royaume chrétien.

La fin du Verbe

D’autre part, le livre assimile également la fin du monde à la fin du verbe. En effet, dans la Genèse, il est écrit « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu[3] ». À l’opposé, le verbe tend à disparaître dans l’apocalypse de The Road.

He lay listening to the water drip in the woods. Bedrock, this. The cold and the silence. The ashes of the world carried on the bleak and temporal winds to and fro in the void. Carried forth and scattered and carried forth again. Everything uncoupled from its shoring. Unsupported in the ashen air. Sustained by a breath, trembling and brief. If only my heart were stone.

p. 11

Ici, l’auteur emploie un style parataxique, c’est‑à‑dire qu’il utilise des phrases courtes dépourvues de verbes conjugués. Ainsi, à l’exception des première et dernière phrases du fragment, les seuls verbes que l’on retrouve dans l’extrait ci-dessus sont l’équivalent des participes passés dans la langue française utilisés dans leur forme adjectivale plutôt que verbale (ex. : carried, scattered, sustained). De plus, notons que certaines phrases sont dénuées de tout semblant de verbe, comme « Bedrock, this » et « The cold and the silence ».

La fin, un nouveau commencement

En ce qui concerne le contenu, la fin du roman de McCarthy montre bien comment le texte réécrit la Genèse :

Once there were brook trout in the streams in the mountains. You could see them standing in the amber current where the white edges of their fins wimpled softly in the flow. They smelled of moss in your hand. Polished and muscular and torsional. On their backs were vermiculate patterns that were maps of the world in its becoming. Maps and mazes. Of a thing which could not be put back. Not be made right again. In the deep glens where they lived all things were older than man and they hummed of mystery.

p. 286-287

Dans un premier temps, remarquons que si la Genèse raconte la création de la vie, le roman de McCarthy, quant à lui, dépeint un monde de désolation où aucun animal n’a survécu. Outre de nombreuses mentions à l’extinction de différentes races animales au fil du texte, le présent extrait marque le détournement de la Genèse en parlant de la faune et la flore au passé, comme d’un mythe. Ainsi, le livre se termine par un récit légendaire au ton mystérieux (lequel est d’ailleurs souligné par le dernier mot du roman : « mystery »), par un retour aux origines. Ici, si le logos, l’esprit rationnel, ne permet pas d’espérer en un avenir meilleur, le mythe, celui de la Bible, offre la possibilité d’une Nouvelle Genèse en rappelant qu’il y a eu quelque chose avant l’Apocalypse.


[1] Description de la traduction française des Éditions de l’Olivier.

[2] Cormac McCarthy, The Road, New York, Vintage Books, 2006. Désormais, les références à ce roman seront indiquées entre parenthèses avec le numéro de page pertinent.

[3] Premier verset du prologue de l’Évangile selon Jean, traduction de Crampon, 1984 (WIKIPÉDIA, « Prologue de l’évangile selon Jean », <https://fr.wikipedia.org/wiki/Prologue_de_l%27%C3%A9vangile_selon_Jean> (page consultée le 24 juin 2019).

Laisser un commentaire