Couverture de L'enlèvement de Damien Blass : un ciel bleu et rouge

Avis lecture : L’enlèvement, Damien Blass

Paru chez Triptyque le 7 août 2019, L’enlèvement est le premier roman de l’auteur québécois Damien Blass.

— Regarde.

Un cercle de feu se détachait du ciel. L’objet était immense, strié de fentes rouges. André scruta le visage de sa gardienne. Pour la première fois, il la trouva laide, repoussante. Ses yeux s’étiraient sur le côté en larges globes fluides, sans pupille. Des yeux d’insecte. Sans remuer les lèvres, elle le regarda de biais, puis imprima ces mots en lui : Tu viens ?

p. 58

Apocalypse Now!

L’ambiance du roman m’a beaucoup rappelé celle de la minisérie Childhood’s End[1] développée par Syfy à partir du roman éponyme d’Arthur C. Clarke. En effet, L’enlèvement, tout comme la série (je ne peux pas parler du roman puisque je ne l’ai pas lu), associent la mythologie chrétienne aux extraterrestres, attribuent une place centrale aux enfants et se déroulent de façon inéluctable.

Au sujet de ce dernier point, je veux dire que les protagonistes sont passifs ; ils subissent l’intrigue, jamais ils ne tenteront de résister. Je comprends ce choix : tout comme l’Apocalypse prédite par la Bible, les événements du roman sont inévitables. Toutefois, cela ne fait pas un récit très dynamique et cela pourra rebuter certains lecteurs.

Besoin de plus de temps avant la fin (des temps)

Mais au contraire de Childhood’s End qui passe deux longs épisodes à présenter les personnages et à nous les rendre sympathiques, L’enlèvement est très court et accorde donc peu de pages à leur développement, si bien que leur sort, d’un point de vue affectif, nous indiffère quelque peu. Selon moi, le roman aurait gagné à être plus long. Ainsi, l’auteur aurait non seulement pu passer plus de temps avec ses protagonistes, mais aussi à installer son récit. Comprenons-nous bien : tous les éléments qui doivent être mis en place le sont, mais l’exécution est parfois un peu expéditive. L’exemple le plus frappant est celui de la relation entre André et sa belle-mère Sarah : leur antagonisme est bien installé à l’aide d’une scène clé au début du roman (que je ne peux décrire sans spoiler), mais le tout sera à peine exploré jusqu’à la fin, où toute l’importance de leur rapport sera révélée au lecteur.

La tête dans les nuages et les étoiles, mais les pieds sur Terre

La parole de Dieu l’extraterrestre

Blass s’approprie bien l’intertexte chrétien et la mythologie extraterrestre, les mixant naturellement. J’ai notamment apprécié comment il utilisait certains passages de la Bible à son avantage.

Tout le monde citait sans cesse Jean 3:16 et Jean 3:17, mais peu incluaient le verset suivant, Jean 3:18, qui comportait beaucoup de non-dits : « Celui qui croit en lui n’est point jugé. » Celui qui reconnaissait Jésus comme le fils de Dieu échappait au jugement, mais celui qui ignorait le sacrifice de l’agneau était condamné à être jeté dans le lac de feu.

p. 48-49

Cela dit, au premier coup d’œil, parce que le texte est bref, on peut avoir l’impression que l’écrivain garroche les clichés les uns après les autres. Personnellement, je ne saurais lui reprocher l’usage de ces poncifs puisque son intention est clairement de se les approprier. Cependant, je ne pense pas que cela sera évident pour tous les lecteurs. Il s’agit d’une autre raison pour laquelle le livre bénéficierait d’être plus long ; cela permettrait au texte de respirer entre les lieux communs, atténuant ainsi l’effet d’accumulation.

La fin du monde, la fin du mondain

Sinon, j’ai beaucoup aimé l’incorporation d’éléments plus mondains, par exemple quand André joue au jeu vidéo Space Breakout sur la Nintendo, qui est – si je ne me trompe pas – une référence au jeu Super Breakout[2] de la console Atari.

Le jeu s’appelait Space Breakout. Dorothée refila la manette au garçon.

— Si tu as besoin de quoi que ce soit, je vais être à côté. Tu as juste à frapper.

André démarra une nouvelle partie. L’histoire commençait dans une prison galactique, une forteresse spatiale. Il se réveilla dans une cellule sans aucun équipement. Trois gardes effectuaient une ronde de l’autre côté des barreaux. Il se mit à chercher des indices, mais ne parvint pas à trouver le moyen de se libérer.

p. 40-41

Les mythes ufologiques et religieux peuvent être lourds comme intertexte et l’inclusion de choses plus terre à terre (par ex., le roman commence avec la description d’un milieu urbain tout à fait banal) permet d’alléger le texte tout en nous rappelant ce qui sera perdu.

Un premier roman avec du potentiel

L’enlèvement n’est pas un premier roman coup de circuit, mais il démontre le potentiel de l’auteur québécois Damien Blass. Non seulement il maîtrise bien la mythologie qu’il convoque, mais en plus il écrit bien, faisant souvent appel à des images intéressantes.

De sa personne se dégageait une impression calquée ; son sourire évoquait un panneau-réclame.

p. 19

Je crois qu’il s’agit d’une question de balance ici, et que l’écrivain ne l’a pas encore tout à fait trouvée.

Se procurer L’enlèvement

L'enlèvement Damien Blass
BLASS, Damien, L’enlèvement, Montréal, Éditions Triptyque, coll. « Satellite », 2019, 146 p.

[1] La prémisse de la série Childhood’s End (en français, Childhood’s End : Les Enfants d’Icare) est la suivante : En 2016, plusieurs vaisseaux apparaissent aux quatre coins du monde. C’est alors le grand questionnement sur Terre. Sont-ils venus en amis ou en ennemis ? Ils sont surnommés « les seigneurs ». Un soir, Ricky, un jeune fermier, est enlevé. Il est emmené sur l’un des vaisseaux et entre en contact avec un représentant des extraterrestres : Karellen. Celui-ci décrit alors au fermier le but de leur venue sur Terre et pourquoi il a été choisi pour être leur porte-parole. Ils sont là pour apaiser la planète ; arrêter les conflits, soigner les maladies… Mais le doute commence à s’installer auprès de certains terriens. En effet, comment faire confiance à ces bienfaiteurs qui ne souhaitent pas se montrer. Ces derniers promettent alors de le faire 15 ans plus tard (WIKIPÉDIA, « Childhood’s End : Les Enfants d’Icare », <https://fr.wikipedia.org/wiki/Childhood%27s_End_:_Les_Enfants_d%27Icare> [page consultée le 12 juillet 2019]).

[2] Super Breakout reprend le principe de la série de jeu Breakout (briser un mur pour s’évader), mais avec une prémisse SF (WIKIPÉDIA, « Breakout (video game) », <https://en.wikipedia.org/wiki/Breakout_(video_game)> [page consultée le 13 juillet 2019]). Dans le roman, Space Breakout est un jeu de science-fiction où il s’agit de s’évader d’une prison spatiale. Je fais l’analyse littéraire de l’extrait qui le concerne sur ce site.


Merci à l’attention de l’auteur ainsi qu’aux Éditions Triptyque pour la copie du roman L’enlèvement de Damien Blass.

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