Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne Olympe de Gouges Gallimard 2014

La Déclaration (effrontée) des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges

La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne[1] est un court texte juridique publié en 1791 dans une brochure à l’intention de la reine (d’où la lettre en introduction). Il s’agit de la réponse d’Olympe de Gouges à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui omet totalement la femme[2].

Olympe de Gouges, une femme éclairée

J’ai été fascinée de constater à quel point De Gouges était visionnaire. En effet, on peut lire dans nombreuses de ses propositions le germe de lois tout à fait modernes. Par exemple, au cours de sa plaidoirie pour « la pleine assimilation légale, politique et sociale des femmes[3] », elle met par écrit les principes d’indemnisation en cas d’infidélité et de la séparation des biens en cas de séparation ou décès.

Olympe de Gouges
Olympe de Gouges

En ce sens, Olympe de Gouges est bel et bien une « femme éclairée », fruit du siècle des Lumières (1715-1789). Cependant, ce n’est peut-être pas une coïncidence si la fin des Lumières est marquée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; le progrès s’arrête là. L’écrivaine française et femme politique ne manque pas de souligner l’hypocrisie des soi-disant « hommes éclairés » avec des piques ciblées qui reprennent les expressions emblématiques des Lumières :

Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il [l’homme] veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles

Je lui demande de me faire conduire au tribunal de département ou à la mairie, ayant à me plaindre de son coup d’autorité. […] c’est donc là l’espèce d’homme qui doit juger un peuple éclairé !

Olympe de Gouges, une femme de lettres effrontée

Olympe de Gouges écrit avec sagesse et s’exprime généralement sur un ton posé. En effet, sa colère n’est pas explosive comme Valerie Solanas dans son SCUM Manifesto. Pourtant, son propos n’en est pas moins fort. Son texte, comme le laissait déjà sous-entendre les citations ci-dessus, fait preuve d’une grande effronterie.

Effronterie originelle : elle pastiche[4] un document éminemment officiel et sacré, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et le féminise en la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Seconde effronterie : elle réécrit la Déclaration non seulement en y ajoutant la femme, mais en plaçant systématiquement dans les articles, quand l’opportunité se présente, le féminin avant le masculin :

Article II : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la Femme et de l’Homme

Article III : Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n’est que la réunion de la Femme et de l’Homme

Article VI : La Loi doit être l’expression de la volonté générale ; toutes les Citoyennes et Citoyens doivent concourir personnellement, ou par leurs représentans, à sa formation ; elle doit être la même pour tous : toutes les Citoyennes et tous les Citoyens, étant égaux à ses yeux, doivent être également  admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, & sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.

Article XIII : Pour l’entretien de la force publique, & pour les dépenses d’administration, les contributions de la femme et de l’homme sont égales

Article XIV : Les Citoyennes et Citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentans, la nécessité de la contribution publique.

Troisième effronterie, mais non la moindre : l’incipit du document (la lettre adressée à la reine mise à part), chef-d’œuvre d’impudence :

HOMME, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique.

Tout de go, elle apostrophe violemment l’HOMME. L’interpellation est d’autant plus brusque que De Gouges le mitraille ensuite de questions et, par conséquent, le remet en question, lui et son intégrité. Par ailleurs, ce qu’elle pense de l’homme est clair dans sa façon d’utiliser le mot « empire » : elle questionne d’abord son « souverain empire », puis conclut son paragraphe en le qualifiant d’« empire tyrannique ». Allant plus loin encore, elle le fait tomber de son piédestal en le tutoyant. Cela est une façon non seulement de le rabaisser, mais de le mettre sur un pied d’égalité avec la femme puisque, comme l’écrivaine se fait un point d’honneur de le souligner, « c’est une femme qui t’en fait [les] question[s] » et que cette femme s’adresse à lui avec familiarité, comme on s’adresse à un égal.

Mais si De Gouges arrache l’homme à son trône, ce n’est pas tant pour le ramener à son niveau que pour prendre la position d’autorité, s’asseoir sur le trône vaquant. En effet, les questions sont immédiatement suivies d’une série de propositions à l’impératif, soit le temps de verbe qu’on emploie pour donner des ordres : Homme, « Observe », « Parcours », « Donne-moi ». Cette dernière imprécation est d’ailleurs accompagnée de l’ultime remise en question, une mise au défi : « si tu l’oses ».

Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne Olympe de Gouges Gallimard 2014

Mais Olympe de Gouges a été trop effrontée et la réponse de l’homme à ce défi sera sans équivoque : l’icône féministe sera guillotinée pour son esprit révolutionnaire en 1793, soit deux ans après la parution de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.

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[1] La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges (1791) est disponible en ligne gratuitement, entre autres sur Wikisource.

[2] Aux yeux de la loi, les femmes sont des « mineures » et ne sont donc pas des « citoyens ». Le masculin n’est donc pas « utilisé pour alléger le texte » (comme on dit si souvent aujourd’hui pour s’excuser du sexisme inhérent à la langue française) et « homme » n’a pas le sens large d’« humanité ». Ainsi, aucun des « droits de l’homme » ne concerne la femme. Il faudra attendre 1946 pour que l’égalité des sexes soit inscrite à la Constitution (ce qui ne signifie pas, bien entendu, l’égalité dans les faits).

[3] WIKIPÉDIA, « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne », <https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9claration_des_droits_de_la_femme_et_de_la_citoyenne> (page consultée le 17 juillet 2019).

[4] Pastiche : « Œuvre littéraire ou artistique dans laquelle on imite le style, la manière d’un écrivain, d’un artiste soit dans l’intention de tromper, soit dans une intention satirique » (Dictionnaire Larousse en ligne, « pastiche », <https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/pastiche/58555> (page consultée le 21 juillet 2019).

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