Le Grand défi de littérature québécoise 2019 prenait fin le 31 août dernier. Au final, j’ai découvert 22 nouveaux livres québécois. Ce n’est certainement pas assez pour “gagner” le Grand défi, mais compte tenu de mon propre rythme de lecture, c’est excellent. Je souhaite assurément continuer sur cette bonne lancée. Voici une compilation de mes avis sur les ouvrages lus, classés selon leur date de lecture du plus ancien au plus récent.

La dévoration des fées, Catherine Lalonde
La dévoration des fées de Catherine Lalonde un hybride entre le roman et le recueil de poésie qui aborde notamment la question de la transmission au féminin. Le texte est riche en références et ces dernières sont naturellement intégrées au tout. Sinon, j’ai particulièrement aimé la forme de ce livre composé de fragments qui peuvent être lus indépendamment, mais qui ont un sens ajouté lorsque lus les uns à la suite des autres. Si je préfère personnellement une poésie plus éclatée, le lecteur qui hésite à se lancer dans la lecture de poésie par peur de n’y rien comprendre saura apprécier cet ouvrage.

Shit fuck cunt, Vickie Gendreau
Shit fuck cunt : trois mots, trois insultes, de la plus acceptable socialement à la plus grossière. Toute la colère de Vickie Gendreau compressée dans ce titre, lequel annonce l’irrévérence de l’ouvrage, tant sur le fond que sur la forme. Sur le plan du contenu, une variété de sujets plus ou moins tabous est abordée : le sexisme, la sexualité, la maladie, l’estime de soi, etc. Au niveau formel, c’est tout le texte qui s’inscrit sous le signe de l’impertinence, laquelle se traduit par un irrespect calculé de la langue et des normes de la « bonne écriture ». Aussi court qu’efficace, il s’agit d’un texte coup de poing.

Cruauté du jeu, France Théoret
Bloody Mary, un autre recueil de France Théoret, est à ce jour mon œuvre de poésie favorite. Il était donc difficile pour la Cruauté du jeu de l’égaler à mes yeux. Et effectivement, Bloody Mary reste mon favori. Sans doute ai-je moins apprécié la Cruauté du jeu parce qu’il est beaucoup plus conventionnel dans son langage et son organisation textuelle (ce qui le rend cependant plus « abordable ») et parce que certains des thèmes abordés, notamment celui de la maladie, me touchent moins de près. J’ai cependant particulièrement aimé les réflexions sur l’écriture de l’auteure.
Chrysanthe 1. La Princesse perdue, Yves Meynard
La Princesse perdue d’Yves Meynard est définitivement un roman pour adultes, qui traite de sujets difficiles. Avec une héroïne complexe et un univers original et amené habilement, ce premier tome de la trilogie de fantasy Chrysanthe m’a absolument emballé. Le livre rejoint mon top fantasy.

Me and MyselveS (Les héritiers, 0), Xavier Jacobs
L’avis lecture fait pour ce roman a été fait de manière privée. Voici donc la description du livre : Tout le monde a pensé au moins une fois à la fin du monde, Adam Rudolph quant à lui l’a vécu. Seul sur terre ce sociopathe se rend compte que pour survivre, il devra vivre avec lui-même…littéralement. Ceci sont les péripéties du dernier misanthrope sur Terre.Comment recréera t’il son monde ? Par accident, par volonté… Qu’importe, en fin de compte il n’en fait qu’à sa tête.
Le théâtre de Dieu, France Théoret
Le théâtre de Dieu est une critique de la religion (catholique) en tant que principe absolu, mais le tout est fait avec finesse. Conformément à la règle « show don’t tell », Théoret n’énonce jamais sa critique, montrant plutôt les effets négatifs d’un tel absolutisme à travers son personnage principal qui sombre lentement dans la dépression. L’écriture devient ainsi vite anesthésiée, à l’instar de l’esprit puis du corps du personnage principal. L’une de mes meilleures lectures 2018.

Flyona, Caroline Lacroix
Flyona de Caroline Lacroix est une novella de science-fiction à la prémisse intéressante. Malheureusement, elle souffre de répétitions tant lexicales qu’au niveau du contenu, ce qui ne pardonne pas pour un texte court. De plus, de nombreux dialogues ne sonnent pas naturels. Le tout aurait bénéficié d’un travail de réécriture / édition plus serré selon moi.
Les voleurs de mémoire (Les voleurs, 2), André Marois
Les voleurs de mémoire est le deuxième tome de la série de science-fiction jeunesse Les voleurs de l’auteur québécois André Marois. Malheureusement, je ne l’ai pas autant apprécié que Les voleurs d’espoir. L’univers est toujours intéressant, mais l’auteur se repose sur les bases du précédent roman, interchangeant seulement le décor de glace pour celui de sable. L’action est frénétique et le style du livre favorise une lecture rapide. Cependant, le roman souffre de nombreux plotholes et d’une héroïne peu crédible. C’est d’ailleurs à cause de ces deux derniers points que le rating du roman est si bas.

L’amèr, ou le chapitre effrité, Nicole Brossard
Dans une écriture poétique mais néanmoins accessible qui utilise habilement l’italique et joue avec les conventions du langage et de la mise en page sans pousser l’expérimentation au point où plusieurs lecteurs pourraient en être rebutés, Nicole Brossard délivre un texte aux fondements théoriques solides et à la fiction ô combien d’actualité. L’amèr, ou le chapitre effrité est une œuvre au message important : il faut tuer la mère patriarcale pour libérer la femme.

Les filles en série : Des Barbies aux Pussy Riot, Martine Delvaux
Les filles en série est un essai féministe à la théorie solide qui s’attarde à des représentations culturelles du féminin de nature diverse : écrits, films, TV, architecture, publicité, célébrités, etc. Cependant, ce qui le démarque, c’est avant tout le style d’écriture de son auteure Martine Delvaux, littéraire sans trop en faire. Ainsi, c’est avec une maîtrise consommée qu’elle montre que si la figure des filles en série est héritée d’une croyance misogyne, il s’agit aussi d’un lieu de subversion.

Le crépuscule des superhéros [collectif]
Malheureusement, Le crépuscule des superhéros est un recueil peu accessible, son contenu étant très spécialisé. Le lecteur idéal de cet ouvrage est non seulement un connaisseur de comics books, mais un individu familier des textes (et du style) scientifiques.

Paradis, clef en main, Nelly Arcan
Paradis, clef en main, dernier livre de l’écrivaine québécoise culte Nelly Arcan, paraît peu après son suicide. Il s’agit d’un roman de science-fiction situé dans un futur proche où ceux pour qui « la vie est une impasse » peuvent engager l’entreprise Paradis, clef en main pour orchestrer leur suicide. J’ai lu quelques critiques qui mentionnaient que l’ouvrage avait été édité en vitesse en raison du suicide de Nelly Arcan et j’ai tendance à le croire. Si le roman est rempli de gemmes, d’autres passages sont plus malhabiles, si bien que l’ouvrage, dans son ensemble, est moins abouti que Putain ou Folle, les deux autres romans d’Arcan que j’ai lus. En effet, certains passages sont très “on the nose” et l’héroïne apparaît parfois comme excessivement geignarde. Pourtant, le livre vient davantage me chercher que les deux œuvres susmentionnées.

Oscar De Profundis, Catherine Mavrikakis
La plume de Catherine Mavrikakis est toujours magnifique, mais je n’ai pas de mots pour dire à quel point ce roman est bien écrit et construit. Le style, l’emploi judicieux des champs lexicaux (par ex., les pauvres associés au registre de l’animalité), une variété de procédés formels, l’intertextualité… Premier coup de cœur de l’année 2019, rare roman 5 étoiles, Oscar De Profundis est un chef-d’œuvre.

Chrysanthe 2. Le Prince rebelle, Yves Meynard
Si Chrysanthe 2. Le Prince rebelle n’est pas un coup de cœur définitif comme La Princesse perdue, notamment parce qu’il lui manque une intrigue à part entière, je l’ai néanmoins énormément apprécié. Avec des personnages complexes et un univers inusité, ce second tome nous laisse un peu sur notre faim, ce qui ne nous donne que plus envie de découvrir la suite.

Le revers, Roxane Desjardins
Avec un vocabulaire relativement simple et des poèmes courts, Le revers de Roxane Desjardins se lit très rapidement. Tout aussi accessible par la thématique qu’il aborde, soit le mythe de l’amour, ce recueil de poésie saura plaire à un public assez large. Personnellement, j’aurais apprécié un peu plus de folie dans la forme, mais c’est parce que je suis particulièrement friande d’expérimentations.

L’enlèvement, Damien Blass
L’enlèvement n’est pas un premier roman coup de circuit, mais il démontre le potentiel de Damien Blass. Non seulement il maîtrise bien la mythologie qu’il convoque, mais en plus il écrit bien, faisant souvent appel à des images intéressantes : « De sa personne se dégageait une impression calquée ; son sourire évoquait un panneau-réclame » (p. 19). Un texte plus long, selon moi, pourrait remédier à la plupart des problèmes du roman, notamment en ce qui concerne l’effet d’accumulation des lieux communs.

M.I.L.F., Marjolaine Beauchamp
Certaines pièces se lisent extrêmement bien, d’autres sont plus dépendantes de la performance scénique. M.I.L.F. de Marjolaine Beauchamp fait partie de la deuxième catégorie selon moi. Le tout est manifestement écrit dans une « langue parlée » – entre autres, c’est rédigé dans un bon gros joual – avec la représentation théâtrale en tête. Une langue sans tabou pour briser le tabou de la sexualité des mères, qui doit être plus efficace au théâtre.

La Minotaure, Mariève Maréchale
Non seulement La Minotaure, grâce à l’écriture poétique de Mariève Maréchale, est un roman d’une grande beauté, mais il s’agit en plus d’une œuvre incroyablement importante et terriblement actuelle. À l’heure où le système cherche timidement à se faire plus inclusif et face à l’incompréhension du public vis-à-vis de la possibilité d’être bigenre ou non binaire, le livre s’impose comme une étrange vulgarisation de la question, laquelle est rendue intelligible à travers le récit d’une expérience subjective.

Nous parlerons comme on écrit, France Théoret
Nous parlerons comme on écrit est une réflexion sur la langue en tant qu’extension de la société patriarcale, sur l’impossibilité de parler ou d’écrire le féminin dans cette langue et sur la nécessité d’une nouvelle langue pour se dire en tant que femme, ce que fait brillamment France Théoret à travers l’aspect « poésie » de ce roman poétique.

Corps, Chloé Savoie-Bernard [dir.]
Corps est un recueil de nouvelles solide réunissant indubitablement de nombreux talents. L’ouvrage, qui contient autant des expérimentations formelles que des œuvres plus conventionnelles, en a pour tous les goûts. Quoique tous les textes tournent autour d’un même thème, les sujets ne sont pas répétitifs, chaque auteur-e apportant sa propre perspective. Je parle de mes textes préférés dans ma review.

L’annexe, Catherine Mavrikakis
L’annexe est un roman bien écrit et soigneusement construit. Catherine Mavrikakis sait comment se jouer des codes du roman d’espionnage, quand les adopter et quand les détourner, de sorte que le lecteur ne sache pas trop distinguer le vrai du faux. Elle sait comment faire le lien de façon naturelle entre le passé et le présent, entre l’histoire d’Anne Frank et ce qui arrive à Anna. De même, elle sait comment mettre son intertexte littéraire – incroyablement riche – au service du récit qu’elle raconte, c’est-à-dire de manière à renforcer son propos. Sans surprise, L’annexe s’impose comme une lecture incontournable de la rentrée littéraire québécoise de l’automne 2019.

De rivières, Vanessa Bell
Dans son recueil De rivières, Vanessa Bell tisse habilement un récit personnel qui saura néanmoins résonner avec la plupart des lecteurs. Trompeusement simple, sa poésie – dont le lyrisme ne repose nullement sur la rime traditionnelle – est débordante de sens. Elle saura ainsi plaire aussi bien aux non-initiés – qui pourront en faire une lecture plus en surface – qu’aux lecteurs aguerris du genre – qui fouilleront le texte pour y déterrer les sens cachés.

Merci pour toutes ces idées de lecture, je crois que je n’ai jamais lu d’auteurs ou d’autrices québécois.e.s c’est l’occasion de m’y mettre 🙂
J’espère que tu auras une belle expérience de lecture. Je suis biaisée bien sûr, mais je crois que la littérature québécoise mérite plus d’attention à l’international! 🙂