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Texte de création : la nouvelle Le jongleur de Panache

Le numéro « bonbon » de Katapulpe

Le jongleur de Panache est mon premier texte publié, à 17 ans. Il est paru en 2009 dans le numéro 8 du fanzine Katapulpe, qui avait pour thème « bonbon ». C’est fou de constater les progrès que j’ai faits! Entre autres, j’avais la main lourde avec les adjectifs.

Le jongleur de Panache

Une petite foule s’était constituée autour de lui, formant un cercle opaque de monde. Les enfants ricanaient jovialement, les adultes applaudissaient en souvenir de leur jeunesse passée et quelques adolescents lui admettaient un certain talent.

Sur la place publique joliment pavée, le soleil tapant de midi propice à la gaieté, un trentenaire faisait voler des bonbons tout ronds. Vêtu de couleurs tape-à-l’œil dans un mélange de mauvais goût volontaire, un chapeau de lutin aux grelots tintinnabulant, il jonglait de mains d’expert avec ses friandises pour balles.

Un contenant de fer recevait les piécettes de l’assemblée pour la démonstration.

Un sac de sucreries Panache qu’il avait confié à l’assistance se promenait de gamin en gamin qui, sous le conseil avisé de leurs parents, avaient interdiction de manger des bonbons donnés d’une main inconnue.

L’un des jeunots, dans une idée de génie, piocha dans le sac de confiseries chamarrées et en lança une sur le jongleur. Ce dernier, plutôt que de lâcher toutes ses sphères sucrées, attrapa habilement la friandise solitaire pour la joindre à ses consœurs dans leur manège de haute voltige.

Des « Ah! » d’émerveillement et des « Oh! » de surprise s’élevèrent parmi les spectateurs jeunes et moins jeunes.

Les enfants, constatant le prodige du manieur de sucreries, se mirent, chacun leur tour, à lancer des bonbons avec plus ou moins de force et de précision, rendant la tâche du jongleur pas toujours facile.

Ses mains s’affairaient dans un mouvement progressif, de plus en plus rapide. Il accéléra jusqu’au point de rupture où une Panache lui échappant, plutôt que d’échoir sur le sol, fut engloutie goulûment.

Un regain d’enthousiasme gagna petits et grands alors qu’un goût de fraise-chocolat excitait agréablement ses papilles gustatives. Il répéta l’opération pour le plus grand plaisir de son public, savourant l’inédit des kiwis, l’ananas avantageusement acidulé, la simplicité du melon. Une abondance de saveurs exotiques ou traditionnelles conflua vers sa cavité orale.

Le spectacle – la dégustation? – se poursuivit tant que les enfants eurent des boules panachées à lui servir d’outils de jonglerie.

Pour les trois ultimes friandises, l’une d’un bleu-vert de fond marin, l’autre d’un rose de joues rougissantes et la dernière d’un jaune soleil qui irradie, le jongleur de Panache sortit le grand jeu. Envoyant valser négligemment les confiseries dans les airs, il se gratta la tête en faisant une moue à la « Mais où sont-elles passées? ».

Les sucreries entamèrent une inéluctable chute en réponse aux lois de la gravité. Au dernier instant, le jongleur leva la tête pour avaler la sphère aux couleurs de la timidité. Prestement, il logea le bonbon dans sa joue droite tout en s’agenouillant pour réceptionner la bille édulcorée dépeinte en hommage à la mer. Il nicha celle-ci dans sa joue gauche, prenant des allures d’écureuil gourmand. Passant les bras sous sa tête, faisant mine de bronzer en s’allongeant confortablement, il engouffra finalement la troisième Panache à l’effigie de l’astre solaire rayonnant.

Le goût des bananes mûres se distilla dans sa bouche alors que ses tympans furent assaillis par les acclamations. Il se leva pour faire la révérence à ses admirateurs d’un jour. Il les salua de la main chaleureusement, ses lèvres scellées faisant office de barreaux de cellule aux bonbons qui ne rêvaient que de s’échapper de manière peu élégante.

La petite monnaie plut de tous côtés. Elle quitta les fonds de poche et les portefeuilles pour venir égratigner les parois de métal du récipient du virtuose.

Les bonbons fondirent.

Ensuite, les donations se firent plus rares et moins généreuses, les gens se dispersaient déjà, ayant tourné cette page insignifiante de leur histoire. Le jongleur se retrouva seul avec son réceptacle lourd de pièces cuivrées, argentées et dorées. Il se pencha pour amasser son butin et sourit. Une belle récolte.

Il rejoignit le trottoir le plus proche, son couvre-chef tintant à chacun de ses pas. Il le retira pour plus de discrétion, couvrit son bol de son manteau orange fluo et attendit patiemment en sifflotant gaiement. Quelques citoyens dédaigneux lui jetèrent un regard mauvais en passant, mais il n’y prêta pas attention.

Un Honda Civic SI rouge cerise avec de la rouille pour ornement s’arrêta à sa hauteur. La portière côté passager s’ouvrit en dévoilant un homme de forte carrure, habillé d’un t-shirt et d’un jean très simple, penché sur la porte pour la maintenir ouverte.

― Bonjour Panache.

― Salut Marcus, lui rendit le jongleur en prenant place à sa droite.

― Les affaires ont été fructueuses.

― Assez.

― Au dépanneur?

― S’il-te-plait.

Le prénommé Marcus acquiesça et s’engagea sur la route à la suite d’une fourgonnette.

Véritable colosse, il en imposait par son maintien irréprochable et la dureté de ses traits. Des rides paraient le contour de ses vigilants yeux noisette, l’armant du charme de la quarantaine clémente. Ses cheveux châtains coupés en brosse lui donnaient l’air d’un soldat en permission.

Panache, lui aussi, se distinguait par une tenue de corps exemplaire, en parfait contraste avec ses habits extravagants et sa tignasse brune en bataille. Contrairement à son ami, il avait le sourire malicieux collé au visage.

La voiture pénétra les quartiers modestes de la ville. Elle se faufila dans les rues étroites avec assurance, Marcus connaissait parfaitement son chemin. Il se gara en parallèle entre un Alero bourgogne et un Néon blanc crasse.

― Merci, fit Panache en quittant le confort du Honda pour les trottoirs souillés.

Il marcha un moment, quelques minutes au moins, avant d’atteindre sa destination, son dépanneur attitré. Il tenait particulièrement à ce qu’on ne le voit pas arriver en véhicule.

L’établissement ne portait pas de nom en particulier, ne brillait pas par sa propreté ni par la qualité de son service. Le bâtiment présentait un espace restreint et, par conséquent, la diversité de choix offert n’était guère enviable. Cependant, le dépanneur avait tout ce que souhaitait le jongleur : des bonbons manufacturés Panache en abondance.

L’amateur de sucreries poussa la porte du petit commerce, faisant carillonner la clochette informant des entrées et sorties des clients. Hormis lui, aucun consommateur en vue.

― Hey Panache!

― Hey Cheng! Tu as ma marchandise?

― Sûr!

Le jongleur itinérant rejoignit le caissier-gérant-propriétaire du dépanneur et déposa son contenant plein de l’oseille du labeur. Retirant son manteau du récipient, Cheng put évaluer le montant de la vente qu’il allait effectuer.

― Joli, apprécia-t-il.

Mais Panache s’était déjà mis à la tâche, inventoriant soigneusement chaque pièce pour mieux compter la somme de leur addition. Le propriétaire se joignit à lui et après une demi-heure, ils étaient venus à bout de l’amoncellement de petite monnaie.

― Je dois être bon pour deux caisses avec ça, déclara Panache à l’intention de l’asiatique.

― Si, approuva Cheng, sortant les caisses en question, de taille moyenne, de sous le comptoir.

Il les poussa vers le jongleur qui les saisit et se retrouva aveugle, disparu derrière les boîtes de carton à la charge, heureusement, plutôt moindre.

Panache se dirigea vers la sortie, suivit de Cheng qui lui ouvrit aimablement la porte.

― Garde la monnaie, lâcha l’acheteur de bonbons en mettant le pied dehors, rigolant de sa petite blague.

Le propriétaire lui fit au revoir d’un signe de tête et le jongleur s’en retourna aux trottoirs sales.

Une à deux fois par semaine, il se donnait en spectacle dans les rues. Il avait toujours aimé jongler, mais malgré un talent certain, ce n’était pas suffisant pour faire une carrière dans les arts du cirque.

Sa deuxième grande passion était évidemment les bonbons. Depuis tout petit, il raffolait de ces choses sucrées que les dentistes abhorraient. Il avait suçoté, croquer, manger tant de friandises dans sa vie, mais aucune ne rivalisait avec les Panaches.

Une à deux fois par semaine, il devenait Panache et jumelait ses deux passions.

Marcus l’attendait au coin de la rue, vêtu impeccablement de noir, sa petite casquette de chauffeur sur la tête, au volant de la limousine.

Le reste du temps, il était Calvin Galore, riche propriétaire de Panache, l’une des plus grandes entreprises de bonbons du monde.

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