De rivières de Vanessa Bell
Elle baigne aux lits des rivières. Le cœur musclé, sans jamais renoncer à rien, elle se construit une maison en dehors de sa bouche, elle devient ruisseau, lac, pluie, fleuve. Vanessa Bell, par cette proposition poétique vive et opulente, rassemble féminité, maternité, sororité et nature sous le signe de l’eau, unies en une même résistance, une même célébration. De rivières porte ses filles à bout de bras, léguant un chant radieux et son élan décisif à un romantisme féminin qui déborde l’avenir. Nés de cette rage sublime qui agite nos corps, ses mots transportent un puissant vent de courage.
De rivières allume des feux sur l’horizon.
pour m’aimer / sois furieux / c’est sous l’eau que j’accepte de me rendre
Extrait : la peau de chagrin
à mes filles
je lègue peau de chagrin
mon corps faillible
j’ai porté ce qui pouvait
p. 52
Analyse du poème
La grossesse, la « grosse roche »
Le poème se retrouve dans la troisième partie du recueil De rivières, qui porte le titre de « Grosse roche ». Vanessa Bell y traite du legs maternel : la « grosse roche », c’est donc le poids de la maternité, d’être femme, et il est transmis d’une génération (la mère) à une autre (les filles).
Ce poème-ci renvoie plus précisément au sacrifice du « corps faillible » de la mère « port[ant] ce qui pouvait » tant bien que mal. La grossesse laisse ses traces, notamment sous la forme d’une « peau de chagrin ». Au premier niveau d’analyse, on peut dire qu’il s’agit de la peau de la femme après l’accouchement, marquée de vergetures, changée par la distension du ventre de la mère.
La peau de (chagrin) la femme
On peut cependant aller plus loin. Une peau de chagrin, c’est aussi la « peau rugueuse rêche » (Wiktionnaire) d’une femme usée ou la « peau tannée pour divers usages » (Wiktionnaire), c’est-à-dire la peau qu’une personne extérieure a abusé pour son propre usage, tel l’enfant « déformant » sa mère pour venir au monde.
Parce que la mère est celle qui « se réduit comme une peau de chagrin » (Expressions françaises), ce qui signifie « se réduire peu à peu, inexorablement » (Wiktionnaire). L’expression s’inspire du roman La Peau de chagrin d’Honoré de Balzac, où une peau de chagrin magique, liée à la force vitale du jeune Raphaël de Valentin, rétrécit à chaque fois que l’un de ses désirs est exaucé. Ainsi, on peut voir la figure de la mère comme celle qui donne, et donne, et donne toujours un peu plus d’elle-même. Dans ce poème, elle est celle qui donne jusqu’à ce qu’elle n’est plus rien à donner, qui « port[e] ce qui pouvait ».