Couverture de Humain.e.s, trop humain.e.s

Avis lecture : Humain.e.s, trop humain.e.s (Testament, 3), Jeanne-A Debats

Humain.e.s, trop humain.e.s est le troisième volet de la série de fantasy Testament de Jeanne-A Debats. Paru pour la première fois chez ActuSF en 2017, il est réédité dans la collection « Hélios » en septembre 2019.

Un troisième tome qui peut être lu séparément des autres

J’ai accepté de lire Humain.e.s, trop humain.e.s parce qu’on m’a dit qu’il pouvait être lu indépendamment des deux autres tomes de la trilogie. Je n’avais tout simplement pas le temps ou le courage de binge-read les précédents livres. Après lecture, je peux confirmer que le roman se tient en lui-même. Debats fournit suffisamment d’information sur les personnages et les événements préalables (sans trop y perdre de temps) pour qu’un nouveau lecteur puisse suivre.

Les survivants de l’épidémie de Roméo et Juliette de 2032 n’en finissaient pas de se séparer. Bien que l’histoire se fût achevée dans un grand massacre final suivi de répliques isolées ici et là, comme après un tremblement de terre, il était demeuré pas mal de couples en vie

p. 26

On sent bien que les personnages ont plus de backstory ensemble que ce qui nous est donné ici, mais ce n’est rien d’insurmontable. Plutôt, cela donne envie de jeter un coup d’œil à L’Héritière et à Alouettes.

Un futur super-présent connecté au passé

Le roman se situe dans un futur proche qui réfère sans cesse à un lointain passé – notamment à travers les créatures évoquées, mais aussi les extraits du carnet de Navarre – et à un plus ou moins lointain passé, c’est-à-dire notre présent. En effet, cet avenir est en fait un super-présent, dans le sens où l’auteure exacerbe les traits de notre société, que ce soit en ce qui concerne la pop-culture ou les questions sociopolitiques.

Ma robe noire n’avait pas suscité l’approbation non plus. Elle me couvrait des pieds à la tête, me donnant l’air d’une princesse Leia en grand deuil selon Navarre. Il venait enfin de voir l’intégralité de la saga Star Wars après la sortie de la cinquième trilogie, et il pestait sur l’escroquerie de l’affiche de l’épisode IV

p. 9

La connexion entre passé, présent et futur est également évidente dans le style adopté par l’auteure, qui alterne entre un français plutôt soutenu, parfois un peu vieillot, et un langage familier et moderne.

Une telle aversion suintait de sa voix que nous n’avions pu nous empêcher, Géraud, moi et même Navarre, de lui jeter un regard sidéré. Zalia étant Zalia, nous nous étions plutôt attendus à un déluge de considérations attendries à un degré ultime, où les mots « ultimate cuteness » et « kawai » auraient surnagé en foule cosmopolite.

p. 8

On retrouve aussi des tentatives épicènes futuristes, ce qui est visible notamment dans les « .e.s » du titre et dans ce passage :

NOUS sommes LesPlusAncien.e.s, informa obligeamment l’être qui apparemment avait étudié la formulation inclusive non binaire des mouvements féministes et LGBTQIAPKO des trente dernières années.

p. 66

Un humour définitivement politique

Si Humain.e.s, trop humain.e.s a certainement un penchant pour l’humour, il s’agit souvent d’un humour volontairement grinçant, utilisé pour dénoncer des problématiques très contemporaines. Sexisme, racisme, sexualité, etc., presque tout y passe. Le roman s’avère donc on ne peut plus politique, avec des prises de position fermes. D’ailleurs, les commentaires politiques ne sont pas toujours très subtils, faisant clairement référence à des phénomènes d’aujourd’hui.

Elle [Adjara] en aurait été bien empêchée, puisqu’elle faisait face à trois policiers, deux hommes et une femme, qui contrôlaient son identité. Une infinie lassitude se lisait sur le visage de notre compagne tandis qu’elle tendait ses papiers à l’homme le plus proche d’elle qui les examina d’un air suspicieux :

— Comment on peut être française en étant née à… (Il fit une pause pour lire le nom de la ville.) … Dubedou ? C’est africain, ça !

Adjara leva les yeux au ciel.

— Non, c’est en Guadeloupe, laissa-t-elle tomber d’un ton morne qui ne lui ressemblait pas. La Guadeloupe est en France, jusqu’à preuve du contraire.

— On est tombés sur une géographe, Francis ! Moi qui pensais qu’ils savaient pas lire, ricana l’autre homme, sans préciser qui étaient ces « ils » illettrés.

— Ouais, enfin, Adjara Sacko, ça sonne pas de chez nous, hein ? fit ledit Francis.

p. 98

Cela pourra déranger, je suppose, les anti-SJW[1] de ce monde, dont je ne fais pas partie.

Un roman qui rit au nez des préjugés contemporains

Humain.e.s, trop humain.e.s est un roman incroyablement contemporain malgré sa prémisse de fantasy, qui rit au nez de nos préjugés modernes. Les personnages sont tous attachants, même ceux qui sont plus ou moins approfondis (p ex., Adjara et Lise) ou ceux auxquels on accorde trop d’importance compte tenu des événements précis de ce troisième tome de Testament (p ex., Zalia et Navarre[2]). Enfin, le rythme est terriblement efficace, ponctué par des chapitres relativement courts qui se terminent en cliffhanger et nous poussent ainsi à poursuivre notre lecture.

Se procurer Humain.e.s, trop humain.e.s

Humain.e.s, trop humain.e.s Jeanne-A Debats 2019
DEBATS, Jeanne-A, Humain.e.s, trop humain.e.s (Testament, 3), Chambéry, ActuSF, coll. « Hélios », 2019 [2017].

[1] SJW, pour « social justice warrior », est un terme péjoratif utilisé par certains pour décrire les individus faisant la promotion d’opinions progressives. Il existe tout un mouvement qui s’oppose au SJW dans les divertissements. Ces anti-SJW disent ne pas vouloir de politique dans leurs films, livres, BD, etc. … alors que toute œuvre est nécessairement politique, de façon affichée ou non.

[2] De ce que je comprends, l’importance de ces deux personnages se justifie par leur rôle dans les précédents livres de la trilogie. Ainsi, on a des extraits du carnet de Navarre, mais ceux-ci ont peu de lien avec l’intrigue.


Merci aux éditions ActuSF de m’avoir fait parvenir une copie du roman Humain.e.s, trop humain.e.s de Jeanne-A Debats.

2 commentaires

  1. Snow

    Ayant lu la trilogie complète, je te confirme que Navarre a une place spéciale (il aussi un livre rien que sur lui : Métaphysique du vampire 😉 ) donc en fait le carnet de Navarre font écho à ce roman et les extraits dans ce livre ont quand même un lien (le pourquoi du comment de sa rencontre avec Géraud) avec ce tome.

    1. Lilith

      Le personnage de Navarre est charismatique, donc ça ne me surprend pas qu’il ait son propre spin-off. Pour les extraits, oui ils expliquent sa rencontre avec Géraud, mais cela ne vient qu’à la fin et le lien avec l’histoire est minimal. Cela dit, j’ai adoré l’histoire racontée dans les extraits. C’était ma partie préférée du roman, ironiquement.

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