Folles frues fortes est un collectif féministe paru chez Tête première en 2019. Marie Demers y réunit neuf autrices québécoises (elle-même incluse) : Marjolaine Beauchamp, Martine Delvaux, Marie Demers, Fanie Demeule, Marie-Sissi Labrèche, Maude Lafleur, Catherine Mavrikakis, Katherine Raymond et Marie-Ève Sévigny. À travers onze nouvelles, elles dénoncent les offenses faites aux femmes tous les jours.
Tchekez ben ça j’vas écrire sur la violence
Celle qu’on cherche pas
Celle qui nous abrille dès la naissance
Comme une couverte passée de mère en fille
J’essaye fort, p. 13
Parce que si elles se font toujours traiter de « folles hystériques » et de « femmes frustrées », …
Tu faisais ça souvent, d’ailleurs : m’enlever, me rajouter, me bloquer, me débloquer. Encore une preuve de ta folie. Un peu « hystérique », la fille. C’est notre ancien boss qui l’a dit. Et il n’a pas tort. Les femmes comme toi sont dangereuses. Leur folie est trop manifeste. La tienne, elle suinte de toi. Elle exsude de ton aura.
Le bon gars, p. 58
… elles s’élèvent malgré tout par leur force de caractère.
La folie furieuse
Dans Ça va aller de Marie-Sissi Labrèche, celle-ci fait la différence entre la « folie furieuse » et les véritables troubles mentaux, parfaitement légitimes.
Ce n’est pas mes yeux ni mon nez ni ma bouche qu’on voit dans ma figure, mais un réseau de tissus nerveux. Ce n’est pas moi qui réponds quand on me parle, c’est une maladie répertoriée dans le DSM-5. Les problèmes psychologiques n’arrêtent pas de s’accumuler dans mon cerveau.
Ça va aller, p. 51
Alors que dans J’essaye fort, Entre votre servitude et la mienne de Marie-Ève Sévigny, Langue sale de Marie Demers…
Je sais que j’ai réussi. J’ai contourné la catastrophe [le viol] en me transformant en clown grossier [en jouant la folle]. En gars grivois. Mon numéro s’achève devant les portes rutilantes de mon hostel.
Langue sale, p. 189
et La prophétie paternelle de Maude Lafleur, …
Ma folie était le ciseau qui me permettrait d’entailler enfin ce cordon ombilical stérile qui me liait à eux [les parents].
La prophétie paternelle, p. 131
… l’insulte devient une force libératrice.
La culture du viol
Les écrivaines s’insurgent face à la culture du viol, notamment dans Le bon gars et Langue sale de Marie Demers, dans Heavy Soul de Marjolaine Beauchamp, …
Une alarme
En dedans de soi une urgence
Qui crie à tue-tête
Décalisse
Mais non
Non…
Parce que la p’tite lumière à off
Gommée dans le GHB
Heavy Soul, p. 150
… et dans Entre votre servitude et la mienne, où une femme criminelle fictive tirée des Liaisons dangereuses nous apparaît moins coupable que Gilbert Rozon (jamais nommé, mais tristement connu au Québec), protégé par le système patriarcal.
Trente-quatre ans d’agressions, une vingtaine de victimes, quatorze plaintes au criminel, et une seule charge retenue contre lui. Il sera toujours plus facile de discréditer une femme que de punir son violeur.
Vous avez la force du nombre, et lui, celle du système.
Entre votre servitude et la mienne, p. 69
L’inégalité des sexes
Les autrices (s’)écrient fort pour se faire entendre, car les hommes ont beaucoup à dire sur ce qu’une femme est ou n’est pas ou sur ce qu’elle peut ou ne peut pas faire. Tout le monde sait, après tout, que
les femmes ne savent pas écrire parce que leur vision du monde n’a rien d’universel, parce que les mots d’une femme n’ont rien de romanesque, du moins pas au sens fort du terme, quand l’adjectif est attribué à des romans d’hommes, des romans qui sont vraiment romanesques, c’est-à-dire qui ne le sont jamais trop.
Romanesque, p. 108
Même chose dans D’une valse de Katherine Raymond. Car les femmes ne peuvent pas être égales à l’homme.
L’institution, l’intelligence, ce type de reconnaissance n’existe pas, pas pour les femmes, ne sert à rien, sinon à donner l’illusion de. Parler propre et obéir. S’inventer toute une langue en cul-de-poule qui nous aurait rendus égaux. Il n’y avait rien à gagner, pas même une partie nulle. Être femme. J’aurais plutôt dû admettre que j’étais chienne, chienne trop savante, à abattre. Et au moins, pouvoir mordre.
D’une valse, p. 29
Ou elles pourraient, mais on ne leur en laisse pas la chance. Car pour rester en position de force, l’homme est prêt à tout, même au meurtre, surtout si on s’attaque à son territoire, par exemple le milieu de la construction, représenté dans Alliage de Fanie Demeule.
L’éloge du féminin
Mais ce recueil n’est pas qu’une critique du masculin, c’est aussi un éloge au féminin. La narratrice d’Alliage est issue
d’une longue lignée de bâtisseuses, récipiendaire du savoir des femmes du continent noyé. Celles-là mêmes ayant développé les premiers alliages.
Alliage, p. 87
Catherine Mavrikakis, dans Je ne les ai pas inventées,
Comme Sei Shōnagon, [a] cultivé la passion des listes. Vous en avez la preuve.
Je ne les ai pas inventées, p. 178
Ainsi, elle utilise ce mode d’écriture d’une femme qu’elle admire, Sei Shōnagon, pour énumérer les femmes de l’histoire et d’aujourd’hui, d’un peu partout, qu’elle estime tout autant.
Le sexisme contemporain raconté par les femmes
Dans Folles frues fortes, Marjolaine Beauchamp, Martine Delvaux, Marie Demers, Fanie Demeule, Marie-Sissi Labrèche, Maude Lafleur, Catherine Mavrikakis, Katherine Raymond et Marie-Ève Sévigny parlent de tout cela et bien d’autres choses. Elles défont le mythe de la maternité glorieuse, elles évoquent des sujets tabous comme la sexualité et les menstruations, elles racontent leur lutte par rapport à l’image et à l’estime de soi, etc. Il s’agit d’un collectif très contemporain, qui aborde de nombreux problèmes de la société patriarcale à travers onze textes solides aux styles variés.
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