La Minotaure de Mariève Maréchale
« Je n’écris pas pour me faire comprendre ; j’écris parce qu’à l’intérieur de moi il y a une petite fille effrayée. J’écris parce que les livres de Nelligan, d’Hébert et d’Agnant brûlent entre mes mains. Parce que je rêve sans cesse à des yeux qui saignent. Je ne demande aucun médicament, aucune rédemption. J’écris pour arrêter des histoires. Les plus toxiques. Les plus violentes. Les plus communes et blanches. »
La Minotaure est un roman dans lequel une narratrice particulièrement terrifiée par l’idée de vivre témoigne de son enfance à travers des notes pour comprendre la source de ses effrois. La plupart de ses courts textes sont adressés à Maude, une amie décédée. Ce (faux) dialogue lui permet de tisser des liens entre son enfance et son âge adulte, et entre sa vie et sa mort qui, croit-elle, la guette à cause de cette tentation d’exister.
C’est le récit d’une parole qui ose s’affirmer, d’une personne qui décide enfin d’exister à travers un nœud de violence patriarcale, blanche, impérialiste, de genre et de classe sociale qui l’étouffe, la transperce et l’invisibilise. C’est surtout l’histoire d’un millier de miroirs qui brisent sous une terrible impulsion à vivre.
Extrait : le genre pluriel
Je suis toujours triste lorsque les hommes ne voient en moi qu’une femme. Ils ne comprennent pas que mon genre est pluriel, que je puisse partager avec eux une tradition masculine sans être uniquement un homme. À leurs yeux, c’est mon côté imparfait, raté ou non assumé. Je sais pourtant leurs manières de s’approprier le monde et de parler, de se tenir, de rire. Je sais intuitivement la distance à entretenir, la force à mettre dans la poignée de main, l’intensité à placer dans le regard. Nous partageons aussi la même masculinité toxique dont nous tentons de nous défaire. Mais je ne rebute pas ma voix aiguë, mes seins, ni mon visage sans barbe et cela les étonne. Ils ne comprennent pas ma familiarité avec les femmes, leurs forces, leurs inspirations, leurs peurs et leurs luttes. Ils ne comprennent pas que je ne souhaite jamais passer complètement pour un homme. À mes yeux, cette double condition est ce qui me permet d’être complète et d’apparaître dans le réel. J’existe en ce monde dans la traversée des genres. Je suis simultanéité. Je ne peux pas choisir entre être un homme ou être une femme, car ce serait choisir entre une moitié de cœur et l’autre. J’ai besoin des deux pour vivre. C’est un tissage de récits impossible à défaire ; leurs brins entrelacés constituent ma matière et me donnent forme en ce monde. Je ne voudrais pas vivre autrement.
p. 126-127