Le Petit Chaperon rouge est généralement lu comme une allégorie du viol, où le Loup tient le rôle du prédateur sexuel qui ne peut résister la jeune fille belle à croquer. Formulé ainsi, on pourrait penser que le but du récit est d’inspirer le dégoût pour cet animal qui ne sait pas contrôler ses plus bas instincts. Pourtant, c’est tout le contraire.
Dans le conte de Charles Perreault (1697), la première version qui fut mise par écrit, l’auteur français raconte plutôt l’histoire d’une fillette qui se fait dévorer en raison de son écart de conduite. La morale qui conclut le texte ne laisse aucun doute là-dessus :
On voit icy que de jeunes enfans,
Charles Perreault, Histoires ou Contes du temps passé, édition de 1697
Sur tout de jeunes filles,
Belles, bien faites et gentilles,
Font tres-mal d’écouter toute sorte de gens,
Et que ce n’est pas chose étrange
S’il en est tant que le loup mange.
Je dis le loup, car tous les loups
Ne sont pas de la mesme sorte :
Il en est d’une humeur accorte,
Sans bruit, sans fiel et sans couroux,
Qui, privez, complaisans et doux,
Suivent les jeunes demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles.
Mais, hélas ! qui ne sçait que ces loups doucereux
De tous les loups sont les plus dangereux !
C’est de la faute au petit Chaperon rouge
La morale du Petit Chaperon rouge constitue l’exemple par excellence du phénomène qui consiste à blâmer la victime. Dans un récit où deux femmes sont attaquées par une figure définitivement masculine, le reproche est adressé à la jeune fille et non au Loup. Elle n’est pas morte à cause de celui-ci, mais par sa propre faute; si elle ne s’était pas arrêtée pour l’écouter, elle et sa mère-grand seraient toujours en vie.
Encore aujourd’hui, lorsqu’on parle d’un viol, le premier réflexe n’est bien souvent pas de condamner l’agresseur, mais de remettre en question la victime. On lui demande « qu’est-ce que tu portais » ou « qu’est-ce que tu faisais seule, dehors, le soir ». Parce que si tes vêtements étaient le moindrement sexy ou que tu marchais librement dans la rue une fois le soleil couché… tu l’as un peu cherché (le fameux « she asked for it »).
Wolf will be wolf
Mais Charles Perreault va plus loin : non seulement il blâme la victime, il excuse l’agresseur. En effet, ce dernier ne fait qu’obéir à son instinct. Après tout, il ne peut pas s’en empêcher : il voit une proie, il la désire, il réagit en conséquence. On ne peut pas s’étonner qu’un Loup mange à sa faim.
Quand je lis les lignes de l’auteur, je lis entre les lignes et à travers les époques : boys will be boys, cette maxime qui permet aux hommes de s’en tirer sans conséquence parce qu’ils agissent simplement selon leur nature. Comme s’ils étaient vraiment les esclaves de leurs pulsions et, faisant mentir Darwin, incapables d’évoluer, de s’améliorer, d’apprendre.
La leçon de morale de l’histoire
Dans la lignée d’une longue tradition où l’on raconte des histoires de peur aux enfants afin de les dissuader d’adopter un comportement jugé problématique, Le Petit Chaperon rouge apprend aux jeunes filles qu’il est dangereux de parler aux étrangers, de s’aventurer seule, de faire aveuglément confiance aux hommes, que ce sont des actions qui méritent d’être réprimandées. Aux garçons, le conte enseigne implicitement qu’ils sont plus forts et plus rusés, que la forêt est leur territoire de chasse et qu’il s’agit de l’état naturel des choses.
L’histoire se répète et Le Petit Chaperon rouge ne fait pas exception. On apprend toujours aux filles comment éviter d’être violées. On leur apprend à ne jamais laisser leur verre sans surveillance parce qu’on risque d’y glisser du GHB; à ne pas trop sourire ou se montrer trop amiable, car ces signes pourraient être interprétés comme une invitation; à couvrir leurs seins, leurs jambes, leurs épaules – la moindre parcelle de peau – pour ne pas provoquer par mégarde le désir masculin; etc. Aux garçons, on enseigne la culture du viol depuis 1697. On leur enseigne que c’est amusant de catcaller les filles dans la rue comme si elles étaient des chattes en chaleur; que le flirt et le harcèlement sexuel se confondent; que non peut vouloir dire oui; etc.
Réviser Le Petit Chaperon rouge
Il faut sortir notre crayon rouge et reconnaître les erreurs du texte. Plus encore, il faut revoir sa leçon. D’abord, elle ne doit pas s’adresser aux jeunes filles, mais aux jeunes garçons. Ensuite, le geste répréhensible ne doit pas être de se promener innocemment dans la forêt, mais le fait d’agresser des innocents. Enfin, ce qui doit être puni, ce n’est pas la gentillesse de la fillette qui visite sa grand-mère pour vérifier son état de santé, mais la duplicité et la monstruosité du Loup. Le message ne doit pas être : « fille, voici ce qui t’arrivera si tu n’es pas prudente »; mais « garçon, voici ce que tu ne dois pas faire et le châtiment qui t’attend si tu te comportes comme une bête ».
Il est plus que temps de réécrire Le Petit Chaperon rouge.
wow! juste wow! 😉
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