Chienne de Marie-Pier Lafontaine

Avis lecture : Chienne, Marie-Pier Lafontaine

Se rebeller en racontant

Avec Chienne paru chez Héliotrope en 2019, Marie-Pier Lafontaine brise cette règle sacrée et raconte, dans son premier roman, son enfance et la cruauté d’un père. Le but de l’exercice, de l’aveu de l’autrice québécoise elle-même, était de dire sans se censurer.

Parmi toutes les lois du père, il y en avait une d’ordre capital : ne pas raconter.

incipit, p. 9

Écrire et mordre comme une chienne enragée

Le style n’est pas cru ou vulgaire, dans le sens où le texte n’est pas rédigé en gros joual parsemé de jurons. Il ne s’agit pas d’un livre gore ou pornographique, qui cherche à choquer avec une foule de détails sordides. Pourtant, l’écriture s’avère bel et bien brutale.

Cela est sans doute dû au fait que, plus que toutes les émotions éprouvées par la fillette mise en scène, c’est la colère de la narratrice au présent qui frappe le lecteur en plein visage. On ressent bien sa rage contre son père qui sait bien « Comment agresser ses enfants sans les pénétrer » (p. 12); contre sa mère qui « participe à l’inceste » (p. 14, 38, 43, 66); contre les hommes qui l’aiment « comme on aime une chienne » (p. 51). Elle ne veut de la pitié de personne, et elle n’en a aucune pour ceux qui n’en ont pas eu pour elle. Elle ne mâche pas ses mots; elle mord comme une chienne enragée.

Se protéger par le fragment et l’autofiction

Lafontaine adopte un style fragmentaire qui lui permet de se protéger en sauvegardant une part de son expérience, tel un animal blessé qui reste toujours sur ses gardes. Non seulement elle tient le lecteur à distance par omission, …

Il y a tout un pan de la violence que je ne me résous pas à écrire. Ça en ferait trop. Trop de violence dans le même livre.

p. 65

… mais aussi par invention, puisque le texte consiste en une autofiction, c’est-à-dire qu’il y a de la fiction dans la biographie.

J’ai inventé un souvenir d’enfance. De toutes pièces.

p. 68

Lire entre les lignes et dans les blancs

Pourtant, le récit ne se révèle pas moins viscéral. Dans Chienne, Marie-Pier Lafontaine laisse entrevoir son enfance brisée en mille morceaux à travers une série de fragments, forme particulièrement appropriée au propos. C’est au lecteur de se figurer le casse-tête complété, de démêler l’auto(biographie) de la fiction, de combler les blancs de l’histoire (et dans la mise en page). L’autrice québécoise en dit beaucoup en ne disant pas tout. Toute l’horreur se dessine par le pouvoir de suggestion.

Je dissimulais mes désirs dans des textes de fiction, enfant.

p. 10

Se procurer Chienne

Chienne de Marie-Pier Lafontaine
LAFONTAINE, Marie-Pier, Chienne, Montréal, Héliotrope, 2019, 107 p.

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